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sur son dos pour le déposer à sec. André se préparait à en faire autant pour Sotileza, qui préférait se déchausser et s’y disposait déjà, mais Muergo revint du rivage, la saisit par la taille et l’emporta dans ses bras; elle se laissa enlever, mourant de rire, pendant qu’André sautait d’un bond prodigieux depuis le bordage de la barque jusqu’à la partie sèche de la plage, dans le sable de laquelle ses pieds s’enfoncèrent jusqu’à la cheville.

Muergo le précédait de plus de deux brasses et continuait à courir sans lâcher son fardeau qui, bien loin de le fatiguer, parais- sait lui donner des forces. Il touchait déjà les premières pierres du sentier qui partait du rivage, et ne faisait pas mine de déposer à terre la jeune fille, qui, riant, l’apostrophant, lui frappait la tète et lui tirait les cheveux.

— Laisse-la donc, animal! lui cria André.

— Làche-la, espèce de brute! répéta oncle Mcchelin.

Ils eussent pu tout aussi bien chanter ! Muergo courait, courait, et ne semblait pas disposé à lâcher son fardeau avant d’avoir atteint la futaie même, à l’ombre de laquelle André voulait qu’on déjeunât.

A la fin, quand il revint seul, lançant des étincelles de ses yeux louches, et agitant autour de sa tète, au souffle du vent, les mèches crépues de sa tignasse, oncle Mechclin le tança vertement et André lui allongea une solide bourrade. Muergo reçut cette caresse avec un frémissement bestial, deux sauts en l’air et un hennissement. Ensuite il prit le panier de provisions, et tous continuèrent leur route jusqu’à la futaie à l’entrée de laquelle Sotileza les attendait.

Très savoureux, et aussi très apprécié, fut le repas des quatre commensaux de la futaie. Pour Muergo, il fallut l’arrêter comme d’habitude, car c’était un gouffre sans fond, surtout quand il s’agissait de boire. André et Sotileza ne buvaient guère que l’eau fraîche apportée de la source voisine. Tous deux s’entendirent pour réserver à tante Sidora une bonne part de chacune des meilleures choses quïl y avait à manger, au grand chagrin de Muergo, qui aurait dévoré jusqu’aux épluchures. Mechelin remercia de tout son cœur pour cette affectueuse attention à l’égard de sa femme, qu’on n’oubliait jamais en pareil cas ; et, comme il se sentait tout ragaillardi sous la salutaire influence de l’agrément du lieu et des caresses de l’air, sa loquacité d’autrefois se réveilla tout d’un coup, et il commença à entonner le panégyrique de sa vieille