Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/502

Cette page n’a pas encore été corrigée

496 REVUE DES DEUX MONDES. — Jamais je ne l’ai vu plus laid qu’aujourd’hui ! — Il est affreux ! répondit André ayant la même pensée que Sotileza. — Il est amusant à regarder, ajouta la jeune fille avec une ex- pression ardente, concentrant en même temps toute la force de ses regards sur les sombres rugosités de la figure de Muergo. Celui-ci sentit la flèche de ce regard jusqu’au plus profond de lui-même ; il en frémit tout entier, poussa un hennissement de poulain sauvage et, pesant sur la rame avec toute sa force de bête vigoureuse, il donna une poussée à laquelle Cole ne s’atten- dait pas, et si forte, qu’il fit dévier la barque. Le visage de Sotileza brilla comme d’un éclair de vanité sa- tisfaite, et en même temps l’on entendit la voix de Mcchelin qui criait de la proue, derrière la voile détendue et flasque : — Qu’est-ce que tu fais, animal ? — Rien qui vous regarde, répondit Muergo avec un nouveau hennissement. A ce moment, André et Sotileza larguèrent leurs lignes, cha- cun sur son bord, et quand la barque arriva au promontoire de Saint-Martin, on y avait embarqué plus de deux livres de petits poissons, pèches en marche. Après avoir longé la base du promontoire, on préparâtes Qua- dahetas, et la barque se laissant porter par le courant, on se livra à la pêche ou plutôt à la capture des calmars. Sotileza, si elle avait une adresse admirable pour agiter dans l’eau avec la dou- ceur et la légèreté nécessaires cette poignée d’hameçons aux pointes tournées vers le bas, manquait de pratique : elle ne savait pas l’art d’embarquer le calmai- pris, sans que le flot d’encre noire que celui-ci projette, quand il se sent hors de son élément naturel, se répande sur le pêcheur lui-même et sur ceux qui l’entourent. Aussi, avec le premier calmar qu’elle captura dans sa guadaneta, mit-elle André dans le même état que si on l’avait plongé dans un encrier. Elle se mordit les lèvres, pour ne pas rire de cet acci- dent qui arracha sur-le-champ à André une exclamation un peu vive, et elle finit par rire comme une folle quand le jeune homme, la première impression passée, eut pris aussi la chose en riant. Alors Muergo, qui les regardait sans cligner des yeux, appuvé du coude sur sa rame immobile, s’écria quand la jeune fille eut jeté de nouveau sa guadaneta : — Grédié ! maintenant pour moi, Sotileza! Lance-moi toute