santé du vieux lui permettait d’aller avec André pêcher dans sa barque, Sotileza les accompagnait.
Au moment où s’embarquaient le vieux Mechelin, Muergo, Cole et Sotileza, le soleil commençait à dorer les contours du beau panorama de la baie : ses rayons, réfractés par le cristal poli des eaux, jaillissaient en gerbes d’étincelles. Dans la nature régnait un calme absolu, un peu étouffant, et il y avait des nuages de pourpre sur l’horizon, autour de l’astre.
On hissa la voile, mais elle était pour le moment inutile, faute de vent ; Muergo et Cole ajustèrent les rames ; oncle Mechelin, à la proue, disposa aussi la sienne, — car on ne disait pas au pauvre homme qu’il ne servait à rien, — et cherchant le contre-courant, à cause de la marée qui commençait à monter, ils voguèrent vers la sortie du port.
André et Sotileza, assis à la poupe, préparaient les engins et les garnissaient d’amorces, échangeant d’innocentes paroles mêlées d’éclats de rire. Car, il est bon de le dire, Sotileza, si sobre de phrases et de sourires sur terre, était pleine d’animation dans ces parties de mer ; et André n’avait garde de laisser échapper ces bonnes occasions qu’offrait de temps en temps à son caractère joyeux et folâtre le naturel plus sec et plus concentré de son amie. Celle-ci, avec tous ses falbalas du dimanche, ne valait pas tant, — quoiqu’elle crût le contraire, — qu’avec ses courtes et étroites frusques de tous les jours ; cependant elle était charmante dans la barque avec son fichu de soie rouge, par-dessus son corsage noir ajusté, sa jupe bleu foncé, de bonnes chaussures, son épais chignon et la moitié de sa tête cachés par le gracieux mouchoir en forme de filet.
Muergo s’asseyait deux bancs plus loin du côté de la proue et appuyait sur le banc le plus voisin de Sotileza ses gros pieds noirs et calleux. Son torse d’athlète était couvert d’un vieux maillot collant, blanc à raies bleues, et ces couleurs donnaient un relief extraordinaire à la nuance bronzée de sa peau luisante. Son éternel sourire stupide se dessinait entre les deux chaînes de montagnes de ses lèvres, et à travers les mèches pendantes de sa tignasse fulguraient les rayons croisés de ses yeux louches.
André se plaisait à comparer la fraîcheur, la finesse de traits, l’air de jeunesse de la charmante fille, avec la hure du rameur. Il admirait mentalement le contraste que faisaient ces deux têtes, quand Sotileza lui dit à l’oreille :