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l’enthousiasme de l’empereur d’Allemagne, qui n’a pas hésité à comparer le sirdar Kitchener au général Bonaparte, et à lui donner la préférence. Ce jugement aurait étonné M. de Moltke s’il vivait encore, et l’aurait même scandalisé. Le sirdar Kitchener a fait de la très bonne besogne, sage, méthodique, prudente, et il en a été récompensé par un succès mérité ; mais rien de plus, et, sans doute, il ne prétend pas à autre chose. L’empereur Guillaume a l’imagination prompte et volontiers débordante : toutefois il ne s’y livre d’ordinaire qu’à bon escient, et il faut presque toujours chercher sous sa rhétorique une intention politique. Cette intention n’était évidemment pas la même lorsqu’il a envoyé son fameux télégramme à M. Krüger, président de la République du Transvaal, après la ruine de l’expédition Jameson, et lorsqu’il a célébré la victoire d’Omdurman. Dans le premier cas, il a voulu être aussi désagréable, et dans le second aussi agréable aux Anglais que possible : aujourd’hui comme autrefois il avait sans doute de bonnes raisons pour cela. On parle depuis quelques jours d’une entente qui se serait produite entre Londres et Berlin sur certains points : on ne dit pas lesquels, on laisse seulement entendre que l’Egypte y aurait sa place. M. Chamberlain, qui voyage en Amérique avec l’espoir d’y préparer encore d’autres rapprochemens, était à peine arrivé à New-York lorsqu’il a été la proie des reporters, proie complaisante, au surplus, et de facile composition. Il a déclaré qu’on aurait tort de croire qu’il y ait entre l’Angleterre et l’Allemagne une alliance offensive et défensive : nous n’avions pas besoin de cette assurance pour n’y pas croire en effet. Mais, en ce qui concerne quelques questions spéciales à l’Afrique orientale, où l’Allemagne et l’Angleterre ont également des intérêts, il n’y aurait rien de surprenant à ce qu’un règlement fût intervenu entre elles. L’Angleterre prépare de très longue main, non seulement ses entreprises militaires, mais aussi ses entreprises politiques. Si elle a été assez heureuse pour obtenir l’adhésion de l’Allemagne aux progrès qu’elle vient de réaliser, et à ceux qu’elle médite encore, on ne peut que l’en féliciter : en revanche, on a peine à discerner quels avantages correspondans elle a pu assurer à l’Allemagne. Il y a là des secrets qu’il est pour le moment difficile de pénétrer. Est-il vrai aussi, comme on commence à le dire, que l’Angleterre aurait été plus loin, et qu’elle aurait obtenu du Portugal, moyennant finances, la renonciation à ses droits sur la baie de Delagoa ? Dans ce cas, elle marche à pas de géant dans la réalisation des plans que l’on attribuait autrefois à son imagination ambitieuse, et les obstacles les plus considérables disparaissent devant elle.