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éclaté. Et assurément ils n’y étaient pour rien. C’est M. Cavaignac tout seul qui, avec une conscience à laquelle il faut rendre hommage, avait pris à tâche de revoir le dossier pièce à pièce et de l’étudier à la loupe. Il y a toutefois un reproche, et un reproche sérieux à faire à M. Cavaignac : pourquoi n’a-t-il pas fait cette étude avant de prononcer au Palais-Bourbon le fameux discours que l’on sait, au lieu de la faire après ? Il s’est porté garant, à ce moment, de l’authenticité des pièces sur lesquelles il établissait la culpabilité de Dreyfus ; il a assuré qu’il les avait personnellement examinées ; il a entraîné la conviction de la Chambre entière par l’assurance avec laquelle il exprimait la sienne. La Chambre, en somme, n’avait pas vu le dossier, et M. Cavaignac l’avait vu. Dans une de ces minutes d’entraînement que les assemblées ne connaissent que trop, et qui ne sont pas faites uniquement de courage civique, — il y entre même beaucoup d’autres ingrédiens, — l’affichage du discours ministériel a été voté à l’unanimité. Ceux qui n’assistaient pas à la séance et qui, le lendemain, ont lu le discours de sang-froid, ont été frappés de la faiblesse des preuves que M. Cavaignac avait produites et dont la Chambre s’était contentée, parce qu’elle était d’ailleurs décidée à se contenter de peu. Mais enfin ces preuves, quelque opinion personnelle qu’on en ait pu avoir, échappaient à tout contrôle : il fallait bien s’en rapporter à la parole seule du ministre de la guerre.

Telle était la situation lorsque M. Cavaignac est venu dire avec une parfaite loyauté, mais avec une loyauté qui aurait dû avoir d’autres suites, qu’il s’était trompé, ou qu’il avait été trompé ; et que la pièce principale sur laquelle il avait eu l’imprudence d’échafauder son argumentation était un faux. Il y a d’autres pièces encore, soit ; elles prouvent ce qu’elles prouvent ; mais nous ne les connaissons pas, et c’est à coup sûr la faute de M. Cavaignac si on a attribué à celles qu’il avait choisies entre toutes, et surtout à l’une d’entre elles, une importance peut-être exagérée. N’est-ce pas de lui qu’elle tenait cette importance ? Il ne restait plus libre d’apprécier à lui seul l’ensemble de l’affaire, après en avoir livré à la publicité certains détails, et après que ces détails s’étaient trouvés entachés de faux. Aussi s’est-il débattu, pendant quelques jours, dans une situation tout à fait illogique. Il avait à choisir entre deux partis : ou bien, puisqu’il avait rendu la révision inévitable, la faire lui-même et en prendre la responsabilité ; ou bien se démettre purement et simplement, comme l’a fait, non sans dignité, le général de Boisdeffre, en laissant telle quelle la situation à ses successeurs. Elle était déjà assez embrouillée !