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sa puissante richesse était passé par-là, il aurait eu, ou il aurait pu avoir le même sort. Indifféremment, les anarchistes se tournent contre les uns ou contre les autres. Ils les appellent les heureux de la vie, en quoi ils se trompent bien souvent. Ils ne voient que les dehors des choses et des hommes. Tout ce qui reluit de loin attire leurs yeux inexercés, clignotans et fascinés. Sous ces surfaces brillantes, ils croient voir incarnés les objets mêmes de leur haine. Et ils frappent aussitôt à coups de poignards ou de pistolets. Il y a là un danger général, auquel nul de ceux qui s’élèvent tant soit peu au-dessus de la foule n’est sûr d’échapper ; et peut-être n’est-ce pas assez dire, puisque nous avons vu à Paris même, pendant plusieurs mois, les anarchistes faire des ravages dans les profondeurs obscures de la foule elle-même. Ils n’ont pas d’autre règle que celle de tuer pour tuer, de tuer pour faire peur, de tuer pour se satisfaire soi-même par l’exercice de sa faculté de destruction. A quoi bon chercher une autre cause à ces actes monstrueux ? Le misérable anarchiste qui vient d’assassiner Elisabeth d’Autriche a voulu seulement se donner la sensation d’assassiner une impératrice : il ne s’est proposé rien de plus. On croyait fermée la série de ces meurtres, la voilà peut-être rouverte.

Quelles mesures prendra-t-on en présence d’un danger qui se révèle plus menaçant que jamais ? Ce n’est pas à nous à le dire, et nous ne sommes partisan d’aucune réaction aveugle. Mais qui oserait soutenir qu’il n’y ait rien à faire, et qu’en présence d’un pareil mal il convient de se croiser les bras ? Plus la victime ici est innocente, plus son sang demande, nous ne dirons pas vengeance, — ni le mot, ni le sentiment ne seraient dignes d’elle, — mais réparation. Tout le monde conviendra du moins que la préservation sociale est à l’ordre du jour, et que le danger auquel il s’agit de pourvoir n’est pas imaginaire. Nous plaignons la Suisse. Assurément elle n’est pas responsable de ce qui vient de se passer sur son territoire hospitalier. Elle est la première à le déplorer, et nous ne voulons prononcer aucun mot qui ajoute à ses regrets. Il y a pourtant des mesures à prendre, ne fût-ce que par une police plus vigilante et mieux renseignée, pour garantir à ceux qui viennent la visiter une sécurité plus grande, et pour effacer de leur esprit un souvenir d’épouvante et d’horreur.

La catastrophe de Genève a produit dans le monde entier la même impression : toutefois, c’est en Autriche qu’elle devait avoir le plus douloureux retentissement. L’impératrice Elisabeth avait été d’abord admirée partout, et n’avait cessé de l’être nulle part ; mais, peu à peu, elle avait manifesté aux différentes parties de la monarchie des sentimens