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proposer à Voltaire de traduire les Psaumes à l’usage de Mme de Pompadour qui était en chemin de se faire dévote.

L’ironie du sort voulut que celui de qui Voltaire se trouvât appelé à prendre en mains les intérêts, ce fût son persécuteur de la veille. Les débuts de la guerre n’avaient pas été favorables à Frédéric. Pressé de toutes parts, acculé à une situation désespérée, il songea à se tuer. Il mit son projet en vers, et même en deux cents vers. Par un effet de l’habitude, les vers du roi de Prusse s’en vinrent trouver Voltaire. Il y fit une réponse éloquente et pathétique, adjurant le prince de renoncer à un dessein criminel, auquel celui-ci, suivant les vraisemblances, ne s’était arrêté ni très longtemps, ni très sérieusement. Frédéric rit de bon cœur en recevant ces exhortations. Ce qui avait plus de portée que ces fantaisies de suicide, ce sont les démarches auxquelles se livra la margrave de Bayreuth pour ménager à son frère les conditions d’une paix honorable. Elle s’en ouvrit à Voltaire. Il n’en fallait pas tant pour enflammer le zèle de notre diplomate. Aussitôt, il répond à la margrave en protestant du dévouement qu’il a toujours gardé au « roi philosophe » et il lui conseille de se mettre en rapports avec le maréchal de Richelieu qui, sans doute, « serait flatté qu’on s’adressât à lui.  » En même temps, il écrit à Richelieu pour l’engager de joindre « la qualité d’arbitre à celle de général.  » Ayant échoué de ce côté, il ne se rebute pas, et songe qu’à défaut de Richelieu, le cardinal de Tencin, celui-là même qui l’avait si fraîchement reçu à Lyon, pourrait se charger de la négociation. Le cardinal s’en charge, en effet, mais reçoit presque aussitôt de la cour un avis d’avoir à se tenir tranquille. Une troisième fois, Choiseul étant arrivé aux affaires, Voltaire renouvelle ses offres de médiation. Il fait écrire au nouveau ministre par d’Argental : « Voltaire est en correspondance suivie avec Luc (Frédéric)… Il est bien avec l’électeur palatin, avec le duc de Wurtemberg, avec la maison de Gotha, ayant eu des affaires d’intérêt avec ces trois maisons qui sont contentes de lui et qui lui écrivent avec confiance… Il a des amis en Angleterre. Toutes ces liaisons le mettent en droit de voyager partout sans causer le moindre soupçon et de rendre service sans conséquence… Quelquefois, quand on veut, sans compromettre la dignité de la couronne, parvenir à un but désiré, on se sert d’un capucin, d’un abbé Gauthier, d’un homme obscur comme moi, comme on envoie un piqueur détourner un cerf, avant qu’on aille au rendez-vous de chasse[1].  » Voltaire affirme qu’il reçut de Frédéric des

  1. Voltaire à d’Argental, novembre 1759.