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dit Freytag, était capable d’aller étourdir tous les conseillers, ce qui aurait gâté notre affaire.  » Si le roi désavoua officiellement le zèle de ses agens subalternes, ce ne fut que pour la forme et il convenait dans l’intimité qu’on n’avait pas outrepassé ses ordres. « J’ai reçu les lettres de Voltaire et de la Denis, écrivait-il à sa sœur la margrave de Bayreuth : ils mentent tous deux… Vous ne sauriez croire à quel point ces gens-là jouent la comédie ; toutes ces convulsions, ces désespoirs, ces maladies, tout cela n’est que jeu.  » On comprend que Voltaire, ainsi maltraité, en ait conçu d’abord quelque rancune, et que son premier mouvement, quand il fut remis de sa peur, ait été pour se venger.

Le moyen qui se présenta tout de suite à son esprit était un peu vif. C’était de passer au service de l’Allemagne. De Francfort il fit parvenir à François Ier, époux de Marie-Thérèse, une offre de se rendre à Vienne dès qu’il serait en liberté, afin d’entretenir leurs « Sacrées Majestés l’Empereur et l’Impératrice de choses qui les concernaient.  » Que l’Empereur daignât le mander auprès de lui, il courrait se jeter à ses pieds, « assuré qu’on ne serait pas mécontent de l’entendre.  » Il demandait en outre que la lettre par laquelle l’Empereur l’appellerait à Vienne lui fût adressée avec la qualité de chambellan impérial. Apparemment, ce dont il s’agissait, c’était de renseignemens sur les desseins politiques de Frédéric. Voltaire ne voyait pas de difficulté à faire profiter un nouveau maître de ce qu’il avait pu apprendre dans l’intimité du maître d’hier. De chambellan du roi de Prusse devenir sans transition chambellan de l’Empereur d’Allemagne, c’était toujours être chambellan. Et cela lui paraissait tout naturel. Il fut seul de cet avis. Au roi de France également et à ses ministres il aurait eu plus d’une information à donner sur des choses les concernant. Il y était tout disposé. On ne se soucia pas de l’entendre. Il avait fait tâter le terrain à Paris par Mme Denis : on lui fit comprendre qu’on n’avait aucune envie de le voir. Au surplus, lors de l’avanie de Francfort, et en dépit de ses appels réitérés, la cour n’avait rien fait pour venir en aide à celui qui continuait de porter le titre de gentilhomme du Roi. On ne voulait plus avoir de rapports avec lui. Une entrevue qu’il eut à Lyon avec le cardinal de Tencin acheva de l’éclairer. « Mon ami, disait-il en sortant à son secrétaire, ce pays-ci n’est pas fait pour moi.  » C’est alors qu’il se réfugie aux Délices.

Un coup de théâtre vint le tirer de sa retraite, ranimer ses ambitions et ses espérances : ce fut l’alliance autrichienne. Voltaire a dans la suite parlé avec légèreté du traité de 1756 et contribué à égarer l’histoire, dans le jugement qu’elle a porté sur cette mesure imposée