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pas désapprouver la manière dont je parle de Mmes de la Vallière, de Montespan et de Maintenon, dont tant d’historiens ont parlé avec une grossièreté révoltante et avec des préjugés outrageans.  » Il y avait quelque chose de touchant, comme le remarque M. le duc de Broglie, dans cet appel à la solidarité des maîtresses royales à travers l’histoire. On fit la sourde oreille.

Quel fut le lendemain de l’accueil triomphal que Voltaire avait reçu à Berlin et comment son séjour en Prusse se termina en fâcheuse équipée, c’est ce que chacun sait, et les détails de l’aventure sont trop connus pour qu’il soit besoin de les rappeler. Si Voltaire en quittant Versailles avait l’espoir de donner une leçon à Louis XV et d’apprendre au roi de France comment son confrère de Prusse respectait la dignité des gens de lettres, les faits se chargèrent cruellement de tourner la démonstration contre lui. Certes les premiers torts vinrent de Voltaire. Il n’était pas encore arrivé à Berlin qu’il avait déjà porté la guerre dans le petit monde de lettrés et de savans que Frédéric groupait autour de lui. Il faisait refuser une correspondance à Fréron ; quelques jours auparavant ne requérait-il pas le lieutenant de police de faire taire le même Fréron ? C’est une des curiosités de l’histoire de la liberté de la presse, que ses plus fameux champions n’aient jamais manqué une occasion d’envoyer les gendarmes à leurs adversaires. Il faisait renvoyer d’Arnaud. L’affaire avec le financier véreux Hirsch fut plus grave. Frédéric la caractérise brièvement : « C’est l’affaire d’un fripon qui veut tromper un filou.  » Les démêlés avec Maupertuis, et les bouffonneries de la Diatribe du docteur Akakia portèrent à l’extrême l’irritation du roi. Toutefois les procédés dont il se permit d’user contre celui qu’il avait lui-même attiré dans son royaume, n’en restent pas moins inqualifiables et sans excuse. Il ne prononce plus le nom de Voltaire qu’en y accolant les épithètes les plus déshonorantes et dont celles de « coquin,  » de « fourbe,  » de « vieux fou,  » de « traître » et de « scélérat » ne sont que les plus douces et les seules qu’il soit possible de citer. Après lui avoir, avec toute sorte de difficultés, accordé la permission de partir, il le fait poursuivre et lâche à ses trousses le célèbre Freytag. Arrêté à Francfort, on fait dans ses bagages une perquisition qui ne dure pas moins de neuf heures et pendant laquelle il se trouve mal deux fois. Comme il fait mine de s’enfuir, on le ramène sous escorte, au milieu des huées de la foule. On l’enferme dans un cabaret de bas étage, la Corne du Bouc. On y conduit également Mme Denis. Elle y resta, gardée à vue par des soldats qui ne quittèrent pas sa chambre, même la nuit. « Cette franche drôlesse,