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réalisation de l’idéal d’unité qui est sa force et sa vie. Les missions sont, parmi les peuples hérétiques ou païens, comme les pierres d’attente du futur édifice de la chrétienté unie sous un même pasteur. L’Eglise, incarnée dans la Papauté, est une victime du principe des nationalités. Mais si c’est au nom de ce principe que la royauté italienne a opéré la « conversion » des biens de la Propagande et mis à la merci des fluctuations du crédit de l’Etat les ressources destinées à la propagation du catholicisme et au soutien de ses œuvres, comment voudrait-on que la Papauté fît elle-même l’application d’une doctrine politique dont elle a été si souvent la victime ! qu’elle nationalisât les missions ! qu’elle tarît ainsi la source d’où elle ne désespère pas de voir un jour jaillir de nouveau l’idée de chrétienté !

Léon XIII ne cédera donc pas à la séduction trompeuse d’avantages apparens : l’échec des négociations de Mgr Anzer et du cardinal Kopp en est l’indice certain. Il est trop facile en vérité de lever le voile qui dissimule mal les visées envahissantes de la politique germanique. L’œuvre que poursuit l’empereur d’Allemagne, c’est par-dessus tout l’accroissement indéfini de la grandeur de son pays et l’exaltation de sa propre autorité ; l’évangile dont, avant tout, il prépare le triomphe, celui qu’il fera prêcher « à ceux qui veulent l’entendre comme à ceux qui ne le veulent pas, » c’est « l’évangile de la personne sacrée de l’Empereur, » c’est l’évangile d’un Hohenzollern protestant. Le pape sauvegardera l’intégrité des droits de la France. A la France d’accomplir la totalité de ses devoirs de protectrice !

A cet égard, un esprit de sagesse patriotique semble dominer dans les conseils du gouvernement français. Répondant à une « question », M. le ministre des affaires étrangères disait récemment à la tribune : « La France entend exercer en Orient les droits que lui confèrent des traités anciens que l’Europe a reconnus au traité de Berlin et dont l’importance, à tous les points de vue, n’échappe à personne. La France ne peut se soustraire aux devoirs que lui impose ce protectorat. » L’énergie de ce langage est rassurante : elle présage le maintien et l’affermissement de notre influence en Orient comme en Extrême-Orient ; elle montre que le gouvernement comprend les intérêts majeurs de la politique française. Le protectorat des catholiques est, en effet, pour nous, une source d’avantages matériels. Peut-être, à la fin de ce siècle de positivisme, est-ce l’argument seul des intérêts immédiats qu’il