Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/446

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soit. Mais c’est par une véritable inconscience dans le sophisme que presque tous nos psychologues en ont déduit que le rouge est subjectif, le mouvement seul objectif.

Ainsi cette proposition : les qualités sensibles sont intérieures, nous apparaît comme manquant de preuves, comme appuyée sur les raisonnemens les plus fragiles et les plus équivoques. — Si nous l’examinons en elle-même, nous comprendrons qu’il soit assez difficile de la prouver, car nous nous apercevrons qu’elle ne présente aucun sens.

En effet, il y a ici à faire une remarque d’importance capitale, et que l’on néglige toujours. C’est que l’expression : intérieur ou extérieur à l’esprit, ne signifie rien. La question : « les qualités sensibles, couleur, son, étendue, etc., existent-elles hors de moi ? » est la question la plus mal posée qu’on puisse imaginer ; elle est, ou horriblement équivoque, ou totalement inintelligible. — Car enfin, que veulent dire tous nos « idéalistes » quand ils affirment par exemple, comme une vérité indiscutée, que la couleur n’existe pas hors de l’esprit ? Que peut bien signifier cette formule : « Tel objet est hors de mon esprit ? » Vous dites et vous répétez, sans doute avec raison, que l’esprit n’est pas étendu, qu’il n’occupe aucune place. Mais par suite un objet ne peut pas être hors de l’esprit, ni dans l’esprit, ce sont là des mots sans pensée, c’est du pur « psittacisme. » Etre hors d’une chose, c’est occuper une place qui diffère de la place occupée par cette chose. Donc on ne peut pas dire « hors de l’esprit. » — Voilà comment, par l’emploi de termes ambigus, on s’expose aux plus grossières confusions, comme aux plus factices difficultés. On se trouve, par exemple, impuissant à démontrer que les objets sont hors de l’esprit et je le crois bien, puisque cette formule même n’a aucun sens ; on ne s’avise pas qu’il serait tout aussi impossible d’établir qu’ils sont dans l’esprit. — Et voilà comment les philosophes compliquent les questions, ou plutôt en créent de fausses. Et voilà aussi, pour être juste, une de ces idées confuses que l’admirable cerveau de Taine est coupable de nous avoir imposées.

Ce qui a un sens, c’est la question suivante : L’objet est-il hors de notre corps ? Cette question est très nette, et la réponse est évidente. Schopenhauer est, je crois, le seul homme au monde qui ait jamais prétendu que les objets fussent dans le cerveau. Encore est-ce par jeu ou, tout au moins, par symbole.

Ce qui a un sens, c’est encore cette autre question : L’objet