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sensé de dire : « la réalité et le rêve se ressemblent, donc le rêve est une réalité. » Cette conclusion serait tout aussi rigoureuse que la première. C’est dire que ni l’une ni l’autre ne s’imposent.

Le troisième des argumens idéalistes est tiré de la science, de la physique moderne. — La physique moderne, dit-on, a démontré, d’une façon définitive, « l’intériorité » des qualités sensibles, couleur, son, chaleur, etc. En effet, elle nous affirme que, hors de nous, tout est mouvement, vibration d’une matière invisible et silencieuse. Là, où nous entendons un son aigu ou grave, faible ou puissant, il y a des vibrations plus ou moins rapides, plus ou moins amples de la matière. Là où nous voyons la lumière et les couleurs, il y a un éther invisible qui vibre 400 ou 700 trillions de fois par seconde. Voilà donc, conclut-on, ce qui est réellement extérieur à nous, si encore il y a quelque chose d’extérieur : c’est un mouvement, inaccessible aux sens, d’une matière mystérieuse. Par suite, toutes les qualités sensibles sont intérieures : elles n’existent que dans notre esprit ; si tous les esprits étaient supprimés, il n’y aurait plus rien du monde sonore, coloré, résistant dont nous subissons l’illusion. Nous nous figurons que les qualités sensibles résident dans la matière, elles résident en nous : ce sont des « états de conscience. »

Cet argument, si classique qu’il soit devenu, est étrangement sophistique. On abuse des déclarations des savans, et on leur fait dire ce qu’ils n’ont jamais voulu dire, ce que d’ailleurs ils n’auraient, — en tant que savans, — aucun droit de dire. Les formules physiques que l’on invoque ne signifient pas que la couleur, la lumière, le son n’existent pas, elles signifient seulement qu’il y a autre chose ; la science ne nous affirme pas, par exemple, que la couleur rouge n’existe pas ; ce sont les philosophes qui l’affirment ; elle nous apprend simplement que pendant l’apparition du rouge l’éther vibre, que, si nous acquérions des sens nouveaux, nous percevrions non plus seulement la couleur rouge, mais les 400 trillions de vibrations à la seconde.

Que faut-il donc conclure, si nous voulons vraiment tirer les conséquences des théories physiques ? Il faut conclure que les deux phénomènes se produisent ensemble, et non pas que l’un est réel et l’autre illusoire. On peut même déclarer que le phénomène que nous ne voyons pas, le mouvement vibratoire de l’éther, est plus important que ceux que nous voyons ; les savans ne s’occupent que de celui-là parce que seul il est calculable :