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ses convictions se retournent instantanément, au lieu de vous appuyer, il vous attaquera donc. Laissez-le aller et laissez-le faire : sous le nom qu’il a donné, on ne le connaît pas à l’adresse qu’il a indiquée ; il n’habite pas la circonscription. C’est un professionnel de l’escroquerie à l’élection.

Il y a d’autres types et de tous les genres. Il y a le policier électoral, qui s’installe dans le café d’en face, surveille les allées et venues, file le candidat quand il sort, interviewe les domestiques, se renseigne sur votre loyer, sur votre famille, sur vos relations, sur votre genre de vie et votre train de vie. — Il y a enfin (il faut le mettre à part ; car il a souvent une manière de bonne foi ou même d’honneur) l’agent électoral, l’entrepreneur patenté, qui soumissionne une élection comme un marché, et qui travaille à tous les prix : avec le comte de B… ou le marquis de L.., il « marchait sur le pied » de 100 000 ou 200 000 francs ; mais il entend raison, et il se contentera d’infiniment moins. Celui-ci, il n’est pas rare qu’il cumule, et en même temps qu’agent à gages, ou à honoraires, qu’il soit membre influent de quelque comité, dont il se sert, et que d’ailleurs il ne dessert pas. Peut-être ne sera-t-il point tout à fait inutile, à condition de le tenir en main, et il est, à son heure, capable d’intelligence et de dévouement. Sans faire rien de proprement indélicat, il fait ce que le candidat lui-même ne pourrait ni ne voudrait faire. Il tâte et sonde les marchands de vins, étudie leur clientèle ordinaire, dépiste et groupe les électeurs qui ont ou qui passent pour avoir de l’action sur les autres, prépare en un mot la mobilisation générale du suffrage. S’il connaît son métier, en quelques semaines il sait qu’ « un tel est avec nous, un tel contre nous, et qu’un tel ne s’occupe que de son commerce. » Il visite et retient les salles pour les réunions privées, avant que la période soit ouverte, celles où le candidat entre en contact avec les électeurs : il les combine, lundi salle A…, pour telle et telle rues, vendredi, salle G… pour telle et telle autres. Il est l’intermédiaire officieux, le trait d’union — ou de réunion — entre le candidat et ce personnage important, le marchand de vins, qui n’a sans doute pas tout le pouvoir qu’on lui prête, mais dont il serait imprudent et funeste de se faire un ennemi.

Le vrai règne du débitant, c’est cette espèce d’Avent électoral, et derrière son comptoir, tout en vidant des bouteilles pour remplir des verres, il distribue aux concurrens des brevets qui leur