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chemins de fer, sans produire un extrait de son casier judiciaire, mais n’importe qui entre, comme en un moulin, dans « la souveraineté nationale, » ou il y entrerait tout de go, si, quand il semble qu’il y ait lieu de se méfier, l’employé ne demandait d’office au parquet la communication de ce casier qu’on ne lui propose point. Démarche qui n’est pas complètement vaine, puisque, sur cent personnes qui se font inscrire, il y en a une à qui quelque condamnation pour délit grave a fait perdre la qualité de citoyen. Leur radiation, à ceux-là mêmes, parfois ne va pas toute seule ; il arrive qu’ils regimbent, qu’ils disent : Ce n’est pas moi ! et que, suivant leur caractère, ils gémissent sur l’atrocité des temps, ou menacent d’intenter une action en dommages-intérêts pour diffamation. Il faut de la fermeté d’âme pour tenir tête aux assauts répétés que livrent à la boîte aux fiches, répertoire de la Souveraineté, d’aspirans législateurs ou conseillers municipaux qui, estimant que les amis dévoués sont rares, les ramassent où il en traîne… Dans tout cela, il n’y a pas de quoi faire éclater la foudre : ce serait oublier trop que la pauvre humanité, même proclamée souveraine, est fragile et faillible. Mais non plus il n’y a pas de quoi — et encore bien moins ! — prendre l’exactitude des listes électorales pour thème de la première strophe d’un hymne, parlementaire et populaire, à « la sincérité » du Suffrage universel ; strophe qu’accompagneraient, alors, en faux-bourdon, ces inconnus, ces absens, et ces ombres !


II

Cependant, voici que les élections sont annoncées, vaguement d’abord, pour la fin d’avril ou le commencement de mai ; on est à la fin de février ou au commencement de mars, et déjà l’on s’inquiète des candidats futurs. Il y en a de connus et de déclarés. L’un d’eux a posé des affiches huit ou dix mois à l’avance, comme avertissement au public : il s’est collé son étiquette ; il a pris ses positions. Il est allé se faire raser successivement chez tous les coiffeurs de la circonscription, de préférence les « jours de presse » et en sortant, il a tiré de la serviette bourrée qu’il avait sous le bras de petites brochures qu’il a distribuées : sa biographie, avec gravure, proclamation et explications ; toutes les raisons qu’il y a de « prendre son ours. » Il a monté infatigablement un nombre considérable d’étages, à l’heure des repas, où l’on est sûr que les