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Combattre les confréries, chercher à restreindre leur influence serait impossible ; une telle politique aurait au contraire pour résultat de ranimer leur prestige et leur ardeur, d’en faire le refuge de tous les mécontens, de doubler leur puissance. La seule conduite possible à leur égard paraît être de chercher à les maintenir rivales et divisées. Quelques-unes nous sont moins hostiles que les autres, par exemple au Maroc les Kerzazia, les Zianya, les Taybiya ; sans les favoriser ouvertement, ce qui les discréditerait aux yeux des vrais croyans, il convient de ne pas les combattre, de leur fournir un appui lorsqu’elles le demandent, de les traiter toujours avec bienveillance et respect. Pour les autres, telles que celles des Derkaoua, des Naceria, même des Aïssaoua, il faut être sans cesse aux aguets, empêcher dans la mesure du possible qu’elles étendent leur action sur les territoires qui nous sont soumis, chercher même à gagner quelques-uns des chefs les plus influens.

Cette manière d’agir s’impose d’autant plus que depuis une vingtaine d’années on surprend dans le monde musulman une vague tendance à l’unité, un effort encore obscur mais chaque jour plus marqué vers une sorte de panislamisme. M. Duveyrier, l’explorateur africain si regretté, a dénoncé, il y a dix ans, le péril que pourrait faire courir à la civilisation européenne l’ardente propagande des Senoussya. Le fondateur de cet ordre, Mohammed-Ben-Ali-es-Senoussi, originaire de la province d’Oran, vécut assez longtemps à Fez ; à la Mecque, il fut le disciple de Sidi-Ahmed-Ben-Edris, chef de l’ordre des Derkaoua, et, à la mort de celui-ci, devint, vers 1840, le maître d’un groupe réformé de ces khouan qu’il installa au milieu des déserts de la Tripolitaine, à Djerboub, dans l’oasis où fleurit jadis le culte de Jupiter Ammon. Son fils El-Madi y est aujourd’hui tout-puissant ; ses moqaddem règnent sur la Tripolitaine, le Ouadai, une partie du Bornou, tout le Sahara ; et chaque jour voit s’étendre leur sphère d’action.

La confrérie des Senoussya est la plus dangereuse de toutes, celle qui nous est le plus hostile. Son habile fondateur a mis en elle une cause de supériorité sur toutes les autres ; il déclare que tout musulman affilié à une confrérie quelconque peut, sans abandonner celle-là, faire aussi partie de la sienne, et par suite il ne tend à rien moins qu’à réunir dans une association universelle tous les khouan des confréries existantes. Sa doctrine, — et