Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/407

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dégouttans de sang et qu’enfin ils finissent par avaler[1]. Dans cette exaltation, dans cette saturnale furibonde, ils injurient et frappent les spectateurs et on dit même qu’une fois ils dévorèrent un juif qui s’était aventuré dans la rue. Parmi eux se mêlent assez souvent des Hamdachas ou Hamdouchias, sectateurs d’un saint qui, ayant eu la tête brisée par un boulet de canon, rapprocha les deux parties et fut guéri aussitôt ; ceux-là, aux exercices habituels des Aissaoua joignent celui de lancer en l’air des pierres énormes ou des boulets de canon qu’ils reçoivent sur leur crâne, maintes fois déjà écrasé et endurci. Ces scènes, qui durent onze jours, sont, de l’avis de tous ceux qui y ont assisté, les plus extraordinaires, les plus démoniaques que l’on puisse imaginer.

Pour compléter la liste des confréries marocaines il faudrait citer celles des Hansalya, des Habibya, des Sohelya, des Razya, des Rachidya, des Zerroukia, des Djazoulya, qui sont marocaines par leur origine à la fois et par la majorité de leurs adeptes ; il faudrait en citer d’autres qui, marocaines par leur origine, ont aujourd’hui la majorité de leurs adeptes en des pays étrangers, par exemple les Tedjinya et les Ckeikia, influens surtout en Algérie et en Tunisie ; il faudrait enfin mentionner celle des Quadrya ou khouan de Sidi-Abd-el-Kader et Djilani, le plus grand saint de l’Islam et dont les fidèles sont répandus de l’Atlantique au-delà de l’Euphrate, plus ou moins en relations avec la maison mère qui se trouve à Bagdad.

Les confréries religieuses, en exaltant le sentiment religieux, le fanatisme, constituent un danger pour le monde chrétien et surtout pour les puissances qui ont, comme la France, un grand nombre de sujets musulmans. Ce qui les a empêchées d’agir, comme elles pourraient le faire, c’est qu’elles ont souvent des intérêts contraires les unes vis-à-vis des autres, c’est que leurs chefs, concurrens pour obtenir les ziaras des fidèles, ne se sont guère entendus pour une action commune. Leur hostilité réciproque a fait leur faiblesse. Mais qu’on suppose le chef d’un ordre ralliant à lui la grande majorité de ces fanatiques, disposant de richesses immenses et de millions de fidèles, et l’on voit de suite ce que serait la guerre sainte prêchée par un tel homme, quel péril il pourrait faire courir à l’état de choses établi, soit dans l’Algérie-Tunisie, soit au Maroc.

  1. Le Sous est le pays des serpens ; c’est aussi celui des saltimbanques et baladins. Il en fournit à tout le Maroc.