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entraîner à des conflits avec nous ni par le sultan du Maroc, ni par les Ouled-Sidi-Cheikh, et s’ils ont donné asile aux rebelles, s’ils les ont même approvisionnés parfois, considérant cela comme une affaire de conscience et de commerce, ils n’ont jamais excité à la guerre contre nous.

En dehors de ces cinq grandes confréries, qui ont des groupes compacts d’adeptes localisés dans des régions déterminées du Moghreb, il y en a quelques-unes qui ont des khouan répandus un peu partout et qui paraissent avoir des préoccupations d’ordre moins politique. La plus connue du public, à cause de ses étranges pratiques de jonglerie, est celle des Aïssaoua. Son fondateur, Mohammed ben-Aïssa, pauvre quoique chérif, vivait à Mequinez vers la fin du XVe siècle ; il avait voyagé en Orient et en avait rapporté, avec des révélations surnaturelles, des connaissances de médecine et d’histoire naturelle. Sa popularité porta ombrage à un sultan mérinide qui le chassa de la capitale. Les habitans presque tous quittèrent la cité pour le suivre et un jour qu’arrivés, mourant de faim et de fatigue dans un lieu désert, ils lui demandèrent à manger, il leur dit de se nourrir de ce qui était devant eux ; ils dévorèrent des pierres, des serpens et des scorpions, ce qui par la protection miraculeuse du saint ne leur fit aucun mal et aujourd’hui encore les sectateurs de l’ordre jouissent de la même immunité. Cependant la puissance de Ben-Aïssa grandissait chaque jour ; le sultan, dont la cité était demeurée déserte et qui voyait tous les mécontens et les fanatiques se rallier autour du saint, dut le supplier de revenir à Mequinez en allié ; il lui donna un monastère et de nombreuses propriétés et exempta tous ses adeptes d’impôts et de corvées. La légende nous donne un exemple remarquable de l’influence de Ben-Aïssa : un jour que la foule l’acclamait, il dit que le Prophète lui était apparu et lui avait ordonné de faire un sacrifice à Dieu, que par suite il avait fait vœu d’immoler ce qu’il avait de plus cher, les plus fervens de ses disciples : « Que celui d’entre vous, s’écrie-t-il, qui m’aime et veut me donner sa vie, entre dans ma maison pour être immolé à Dieu. » Un disciple se présente, entre avec Ben-Aïssa dans la maison, puis on entend un cri d’agonie et on voit un filet de sang couler par-dessous la porte. Ben-Aïssa sort, demande une autre victime et la même scène se répète quarante fois, et malgré la terreur il reste encore une foule de fidèles prêts à se dévouer. Le marabout arrête le carnage. Chacun des