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emploient principalement le dikr, prière qui varie avec chaque ordre et forme le caractère distinctif de chacun. Le dikr consiste dans la récitation de quatre versets du Coran, placés dans un ordre convenu qui peut servir de signo de ralliement, dans celle de prières plus ou moins longues ou de versets du Coran auxquels le fondateur a attaché des indulgences spéciales, enfin dans la répétition un très grand nombre de fois d’une brève formule, comme par exemple : La illaha illa Allah, Mohammed rassoul Allah. Les Quadrya, à chacune des cinq prières du jour, doivent répéter leur formule cent soixante-cinq fois ; les Kerzazya, cinq cents fois ; les Aissaoua disent la leur six cents fois à l’aube, trois mille fois au matin, à midi, la nuit, quatre mille fois au crépuscule. Dans plusieurs ordres il faut dire la formule exactement le nombre de fois qui est prescrit ; la dire une fois en moins ou une fois en plus suffit à en détruire toute l’efficacité. C’est pour la récitation du dikr que la plupart des khouan portent des chapelets, dans lesquels le nombre et la disposition des grains varient suivant les confréries.

Il semble que les musulmans aient compris ce que dit Montesquieu, qu’une religion chargée de beaucoup de pratiques attache plus à elle qu’une autre qui l’est moins. On devine combien cette récitation machinale, cette répétition sans fin de la même formule doivent engourdir l’esprit et la volonté. Afin qu’elles produisent encore plus d’effet, on a déterminé l’attitude que doit prendre le priant, les mouvemens dont il doit accompagner sa récitation, la tonalité de sa prière : on se sert de musique, d’encens, de parfums, on l’habitue au hachich, au kif. Les Aissaoua, par exemple, font leurs invocations sur un rythme rapide que soutient la musique des tambours et des tambourins ; en même temps se touchant les uns et les autres, ils se balancent en cadence ; la musique va toujours s’accélérant, et pour la suivre, à la fin, les frères ne peuvent plus que hurler le nom de Dieu. Tout cela joint aux parfums, aux influences magnétiques réciproques, les fait arriver à un état d’insensibilité physique et d’ivresse cérébrale favorable aux hallucinations, au délire religieux et même aux jongleries. Après des mois et des années de ces pratiques et d’autres semblables, l’homme n’est plus qu’un être faible, énervé, au cerveau vide, instrument inconscient et docile entre les mains des chefs. Aussi tiennent-ils essentiellement à la stricte observation du dikr. « Cette prière, disent-ils, est l’épée avec laquelle les