habiles dans l’art de tout dire et surtout de tout cacher sous des phrases polies, correctes et parlementaires[1]. »
Tous les ordres sont orthodoxes ; tous prétendent ramener les fidèles à la pure doctrine du Coran, exigent l’observation des prescriptions religieuses : la prière, le jeûne, l’aumône, le pèlerinage ; dans tous leurs catéchismes le but poursuivi c’est le réveil de la foi. Tous aussi sont des associations de secours : les khouan, les frères, se doivent mutuellement protection et assistance, comme faisant partie d’une même famille. On comprend ce que cette idée, qui répond à un des besoins les plus vifs d’une société d’ailleurs anarchique, a dû attirer d’adeptes aux confréries.
La pensée dominante des fondateurs d’ordres a été de faire de ceux-ci des corps mus par un même sentiment, un instrument docile et tout-puissant entre les mains des chefs. Il faut d’abord l’union absolue : « Tu serviras tes frères avec dévouement, dit un des catéchismes entre autres : aime ceux qui les aiment, déteste ceux qui les haïssent, pense avec eux d’un même esprit, agis avec eux d’un même cœur, exalte l’ordre auquel tu appartiens. » Ainsi le dévouement à l’ordre est le premier devoir, et l’ordre a sa personnification la plus haute et son essence même dans le cheikh : « L’adepte, disent la plupart des statuts, doit tenir son cœur enchaîné à son cheikh, écarter de l’esprit tout raisonnement bon ou mauvais sans l’analyser ni rechercher sa portée, dans la crainte que le libre cours donné aux méditations ne conduise à l’erreur. » Un autre catéchisme exprime la même idée avec des images plus énergiques encore : « Tu seras entre les mains de ton cheikh comme un cadavre entre les mains du laveur de morts[2]. Obéis-lui en tout ce qu’il a ordonné, car c’est Dieu même qui commande par sa voix ; lui désobéir c’est encourir la colère de Dieu. N’oublie pas que tu es son esclave, et que tu ne dois rien faire sans son ordre. »
Pour obtenir cette abdication constante de la volonté, cet anéantissement complet de la pensée individuelle, les divers ordres ont rendu obligatoires diverses pratiques, mais tous
- ↑ Rinn, Marabouts et Khouan, p. 81. Ce livre, plein de documens, fait autorité en la matière et est tout à fait remarquable ; nous lui avons beaucoup emprunté.
- ↑ C’est évidemment l’origine du perinde ac cadaver de l’ordre des Jésuites : il me semble que l’image est plus naturelle avec les coutumes des musulmans qu’avec celles des chrétiens.