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vertu, aux croyans que scandalisaient les hérésies, les désordres des khalifes, les progrès de l’incrédulité. Elles entretenaient l’ardeur religieuse au moment où l’Islam, attaqué par les croisés, avait le plus besoin de se défendre. Les confréries devinrent alors plus militantes et plus considérées, s’organisèrent d’une façon plus savante. Il arriva chez les musulmans ce qui est arrivé aussi dans notre Europe. Tandis que les chrétiens, pour lutter contre les hérésies des Albigeois, puis des réformés, formèrent les ordres des Dominicains et des Jésuites, les musulmans, pour se défendre à la fois contre les sectes et contre le christianisme, s’organisèrent en confréries, dont la plus grande est peut-être celle d’Abd-el-Kader-el-Djilani, qui date du XIIe siècle, est encore très puissante dans le monde musulman tout entier et a son siège à Bagdad. Mais si l’on voulait trouver dans notre Europe quelque chose qui rappelle le rôle de ces confréries musulmanes, il semble qu’on ne pourrait guère les comparer qu’à nos ordres religieux des Templiers ou des Chevaliers de Malte, qui joignaient aux vœux de piété des préoccupations d’ordre politique et militaire. Il va sans dire que dans la société musulmane il ne fut jamais question d’un vœu de chasteté, de l’obligation du célibat. On ne pourrait guère citer qu’un tout petit groupe, de la confrérie de Mouley-Tayeb au Maroc, dont les membres paraissent s’obliger à demeurer célibataires pendant tout le temps qu’ils font partie de ce groupe.

Nous avons peu de données sur les confréries des deux premiers siècles, sur la manière dont elles se sont formées et ont grandi, mais nous savons quelle est la façon, presque toujours la même, dont se sont organisées les autres plus modernes. Le fondateur est un personnage qui a passé une grande partie de sa vie dans les voyages, les études, la prière, la mortification ; quelquefois la grâce de Dieu lui a donné le pouvoir des miracles. Il a reçu du Prophète ou de l’ange Gabriel, le plus souvent dans un songe, l’ordre de prêcher la pure doctrine, de ramener les fidèles à l’observation stricte du Coran. Pour prouver son orthodoxie, il donne la chaîne mystique, selselat : cette pièce expose qu’il a reçu l’enseignement du cheikh un tel, qui l’avait reçu d’un tel autre, et on remonte ainsi jusqu’au Prophète lui-même. Parfois, parmi ces maîtres, il y a déjà un fondateur d’ordre, et alors une partie de l’enseignement de ce fondateur devient la base même de l’ordre, et presque tous les ordres religieux des derniers siècles ne sont ainsi en réalité que des rameaux détachés des ordres dus