Tazeroualt, un petit État marqué naguère sur les cartes sous le nom de royaume de Sidi-Hescham, et, comme ses ancêtres, il est tantôt l’allié, tantôt l’ennemi du sultan.
Au-dessus de ces grands personnages qui joignent à l’autorité spirituelle la richesse et le pouvoir politique, au-dessus de cette sorte de féodalité religieuse qui a ses grands et ses petits vassaux, s’élève un chérif, descendant du Prophète plus directement que le sultan, le chérif d’Ouazzan. Maître de la région montagneuse qui entoure cette ville au sud-est de Tanger, il a d’innombrables zaouïas et des centaines de mille serviteurs répandus dans tout le Maroc, des serviteurs qui attendent de lui le mot d’ordre pour régler leur attitude. Chef héréditaire du grand ordre des Taybiya, qu’on pourrait presque appeler un ordre national, il sacre pour ainsi dire les empereurs, car il est de tradition depuis deux siècles que le sultan n’est le maître légitime qu’après avoir été reconnu comme tel par le chérif d’Ouazzan.
On comprend par ce qui vient d’être exposé que l’autorité du sultan, illimitée en principe, se trouve en réalité restreinte à un quart à peu près de la surface de ce qu’on appelle l’empire du Maroc ; partout ailleurs elle est sans force réelle, précaire, subordonnée au bon vouloir des marabouts. Aussi sa politique tend-elle le plus souvent à se rendre favorables ces pieux personnages ; il attache près de lui par des honneurs quelques membres de leurs familles ; il leur donne ses sœurs ou ses filles en mariage ou demande pour femme quelqu’une de leurs parentes ; il sollicite leurs conseils ; il leur envoie des présens. Dans la seule année 1880, il envoya des cadeaux au marabout de Metrara pour plus de 90 000 francs. C’est par ces moyens, en leur montrant surtout la plus grande déférence, qu’il obtient assez fréquemment leur appui moral ou matériel contre les tribus révoltées. Parfois, quand il se sent en force, il cherche à réduire leur autorité ou leur indépendance. C’est dans ce dessein qu’il fit en 1882 une expédition contre le Tazcroualt et nomma caïd le marabout, sans pouvoir d’ailleurs se l’attacher d’une façon bien sûre, puisque celui-ci a demandé en 1886 la protection de la France. C’est aussi dans cette intention qu’il a combattu par des menées de tout genre la redoutable influence du chérif d’Ouazzan. Le sultan sent bien que ces personnages pourraient à tout moment précipiter des torrens d’envahisseurs sur le pays qui lui est soumis ; il sent que leur haine pourrait renverser son trône, leur bon vouloir en être le soutien.