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I

De tous les pays régis par la religion de Mahomet, le plus fervent est sans contredit l’empire du Maroc. Placé à l’extrémité occidentale de l’Afrique, où les flots arrêtèrent la propagande islamique, tout en face de l’Europe chrétienne, s’il ne peut plus songer, comme jadis, à y faire triompher le croissant, il se tient vis-à-vis d’elle sur une énergique défensive ; il se retranche, il s’isole opiniâtrement, il ne se laisse nulle part entamer. Non seulement, comme dans tout le monde musulman, le Coran y est à la fois l’évangile et le code, non seulement c’est par le nom de Dieu que commencent et finissent tous les écrits et tous les actes, en son nom que se donnent l’hospitalité et l’aumône, mais de plus le sultan qui règne est de la famille même du Prophète, l’autorité réelle est partout entre les mains de personnages réputés saints par leur origine ou leurs actes. C’est par milliers qu’on y compte les chérifs ou descendans du Prophète, les marabouts ou religieux, les santons ou inspirés. Les seuls monumens qui se dressent au-dessus des villes en ruines sont des mosquées avec leurs minarets. Dans les campagnes, au Tell comme dans le Sahara, les seules constructions qui attirent le regard sont des koubbas ou tombeaux de saints, des zaouïas ou monastères-écoles, à tel point qu’un peintre qui représenterait un paysage marocain sans une koubba ou dôme à l’horizon manquerait à toute vraisemblance. Il y a mieux : depuis plus de trois siècles, c’est du Maroc que sont venus en Algérie, en Tunisie, en Tripolitaine, même en Orient, presque tous les agitateurs religieux, les prédicateurs les plus ardens, les saints les plus vénérés ; c’est du Maroc que sont sortis les grands maîtres des ordres religieux aujourd’hui prédominans dans toute l’Afrique musulmane.

La plupart des fondateurs de dynasties au Maroc furent des personnages religieux avant d’être des personnages politiques, et, devenus souverains, ils se donnèrent comme pontifes et successeurs du Prophète. Même le sultan de nos jours n’est pas à proprement parler un souverain temporel ; son autorité lui vient de ce qu’il est descendant de Mahomet, de ce que dans cette famille sainte, infiniment nombreuse, il a été choisi pour être le commandeur des croyans, le vicaire du Prophète, une sorte de souverain pontife ; à ses yeux comme aux yeux de ses sujets, il est le