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à l’heure de la toilette du soir. Alors, s’il était de bonne humeur, il s’amusait à poser des questions aux femmes de chambre : — « Qu’est-ce que cela ? — Je n’ai pas encore vu cela ? — A quoi cela sert-il ? — Combien cela coûte-t-il ? »

Il donnait une tape à celle-ci, pinçait la joue ou l’oreille à celle-là et, sans égard pour la majesté de l’Impératrice, la traitait de même, lui appliquant, en jouant, des claques sur les épaules. « Finis donc, Bonaparte, finis donc ! » lui disait-elle de sa voix lassée et chantante, mais il continuait, car il n’avait pas de mesure, et parfois, sans y penser, faisait mal. Il avait toujours aimé les jeux de mains, comme il arrive à ceux à qui l’on ne rend point les coups et dont un pinçon s’affiche comme une marque de faveur. Plus il était d’humeur joyeuse, plus il se plaisait à ce divertissement et moins il comprenait qu’on s’en fâchât. Toutefois, s’il arrivait qu’on ne le supportât point, on y perdait en familiarité, mais on n’était pas moins bien vu.

Là même, à la toilette de sa femme, Napoléon trouvait à exercer les facultés maîtresses de son esprit : faculté d’analyse qui le portait à se rendre compte de tout, faculté d’ordre qui l’amenait a remarquer l’insignifiante présence de telle ou telle femme de chambre, à s’enquérir des tours de service et des attributions particulières ; puis, la gaminerie reprenant, il bouleversait les écrins et emmêlait les parures. Une apparition en coup de vont d’ailleurs, — à moins qu’il ne se trouvât dans un jour de détente, ces jours, où, inoccupé, oisif, impuissant en apparence à triompher du labeur, il donnait comme congé à son esprit, laissant les desseins mûrir eux seuls par le travail obscur, presque inconscient, de son cerveau ; à moins de cela, une entrée rapide, des mots brefs jetés, des questions posées, un remue-ménage hâtif, et une fuite à nouveau par l’escalier noir.

L’Impératrice terminait sa toilette : comme elle n’aimait point les bijoux pour les enfermer, mais pour en jouir et s’en parer, elle en mettait de très beaux et en nombre. Peu de bracelets pourtant, mais des bagues, des colliers, des boucles d’oreilles, des ceintures, souvent assorties aux pierres qui la coiffaient.

Les éventails étaient peu d’usage, et ceux dont elles se servait, très rarement d’ailleurs, — on n’en trouve que huit dans sa garde-robe en 1809, — étaient tout petits, sans valeur ni goût d’art, fournis par les parfumeurs, de ces minuscules éventails en gaze, brodés en paillettes d’or, d’argent ou d’acier, montés sur des flèches de