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petits environs, au Bois de Boulogne, à Marly, à Saint-Germain, à Versailles, et elle s’efforce de paraître brave dans les mauvais chemins de forêt, de ne point crier, au moins quand l’Empereur est là, et de paraître prendre à la chasse un plaisir, lorsque même la promenade, ailleurs qu’en un parc, est une corvée pour elle.

Elle n’a donc nul regret à y renoncer et se cantonne dans son salon. Parfois, une partie de billard avec un chambellan qui s’ingénie à perdre ou, s’il n’y a que les gens de la Maison, sur la harpe qui est là dans un coin, quelques frôlemens légers qui font à peu près un air, toujours le même, car elle n’a point progressé en ce talent de musicienne que lui attribuait son père, à sa sortie du couvent de la Providence. Plus souvent, la tapisserie ; elle a sa fournisseuse attitrée, Mademoiselle Dubucquoi Lalouette, qui lui a persuadé que la Reine faisant de la tapisserie et en faisant faire aux dames de sa cour, rien n’était mieux séant et que c’était même nécessité. Et c’est Mademoiselle Dubucquoi qui trace les dessins, échantillonne les canevas de façon qu’il n’y ait qu’à remplir, mais cela suffit fort bien à Joséphine. Ainsi croit-elle avoir tiré, point à point, le meuble du salon de la Malmaison, le meuble tout en soie blanche avec le double J entrelacé en roses pompon ; ainsi les rouleaux de tapisserie qui sont enfermés aux atours : un meuble entier fond amarante avec les Muses silhouettées en blanc ; un meuble entier fond cerise avec figures antiques simulant le bronze, puis des morceaux et des bandes à l’infini : rose sur blanc, noir sur vert, des écrans, des tableaux en chenille, sans parler de toutes ces chaises montées et garnies qui meublent le petit appartement de l’Empereur et que Napoléon réclamera pour son fils dans son testament de Sainte-Hélène.

De lectures point. Elle est sans doute abonnée aux périodiques et aux grands ouvrages à gravures qu’on publie par souscription. Il lui en coûte de 1 800 à 2 000 francs par année, surtout pour les livres de botanique aux belles images coloriées au pinceau ; mais cela ne se lit point. Il faut qu’elle soit en voyage pour qu’il lui prenne idée de faire acheter pour une centaine de francs de volumes à lire. Sans doute, elle dispose à Paris de la bibliothèque du Louvre, elle a celle de la Malmaison, celles de tous les palais impériaux ; mais qu’importe, puisqu’elle ne lit point, ne se fait point lire et que ses lectrices servent à tout autre chose ! A moins que ce ne soit un roman où elle croie trouver quelque allusion à sa position ou à son avenir, elle ne regarde point l’imprimé, en