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surveillait moins, on se livrait davantage, et d’ailleurs Joséphine excellait à poser les questions, à tirer profit des réponses et savait à miracle cet art de converser dont alors on faisait des poèmes en vers, mais qu’on pratiquait mieux encore en prose.

Parfois, l’Empereur descendait ; s’il trouvait des personnes qui ne fussent point de la Cour, il faisait la moue et, aussitôt, l’Impératrice se levant passait avec lui dans l’Appartement intérieur. S’il n’y avait que les dames de service ou d’autres qu’il connût, il restait, s’installait, taquinait celle-ci ou celle-là, sans méchanceté, mais en montrant qu’il en savait trop. Quelquefois la plaisanterie se prolongeait, devenait embarrassante, puis cruelle ; mais, heureusement, ces interventions de Napoléon étaient rares.


Le déjeuner terminé, Joséphine rentre dans son salon, car le moindre tour dans le jardin des Tuileries est impossible ; ce sera seulement à la fin de 1810, lors de la grossesse de Marie-Louise, que l’Empereur fera réserver à son usage la Terrasse du bord de l’eau ; ce ne sera que l’année suivante, pour le roi de Home, qu’on creusera un souterrain pour s’y rendre du palais sans faire émeute. Jusque-là tout exercice à pied est impossible à moins qu’on n’aille en voiture, par la route de Saint-Germain ou grande route de l’Éperon de l’Empereur (avenue de la Grande-Armée et de Neuilly), chercher le Bois de Boulogne à la porte Maillot, ou que, par les bords de Seine, on ne gagne la Meute par Chaillot et Passy ; nulle route plus directe, et, une fois là, que faire dans ces allées dont deux seulement, la Route impériale et la Longue allée sont carrossables, qui toutes aboutissent à des ronds-points sans perspective, et où la végétation est aussi médiocre que la vue. De plus, le Bois, avec ses environs déserts, inhabités depuis l’Etoile, est fort peu sûr et lorsque, par grand hasard, Joséphine y va hors des jours de chasse, c’est accompagnée d’un écuyer, suivie d’une voiture de service et escortée de son piquet : un officier, un trompette et quatorze chasseurs.

Par intermittences, comme s’il avait besoin de s’entraîner ou que sa santé l’exige, l’Empereur, à des momens, est pris d’un zèle de chasse et, quoique Joséphine n’ait aucun goût de vénerie, qu’elle ait grand’peine à se retenir de pleurer à l’hallali, qu’elle ait des haut-le-cœur à la curée, et qu’elle ne trouve la chasse heureuse que si l’on a fait buisson creux ou si elle a obtenu grâce pour la bête réfugiée sous sa voiture, pourtant, elle suit dans tous les