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printemps dernier, les journaux escomptaient d’avance la victoire. En même temps que l’hégémonie allemande sur le monde oriental serait manifestée par le voyage de l’empereur d’Occident à Constantinople, la suprématie allemande sur les catholiques comme sur les protestans, l’accord avec le Saint-Siège seraient affirmés à Jérusalem. Aujourd’hui le ton des « feuilles officieuses » est devenu plus humble ; elles masquent leur dépit et cachent leur déconvenue : jamais, à les entendre, le pèlerinage de Guillaume II n’a eu « un but politique. » « On connaît assez à l’étranger, lit-on dans un journal français dont le correspondant berlinois fait écho à la presse gouvernementale, le caractère religieux, même mystique de l’empereur et de l’impératrice pour qu’il n’y ait pas lieu de s’étonner des désirs du couple impérial de visiter les Lieux Saints. » « Ce voyage, est-il dit encore, n’a aucun rapport avec la question du protectorat des catholiques allemands. » Aucun rapport : voilà qui est clair. L’empereur va à Jérusalem pour y faire une prière et au Caire pour voir des ruines. Le gouvernement français peut s’endormir sur cette tranquille et rassurante perspective.

N’ayant rien obtenu du pape, l’empereur sans doute demandera beaucoup au sultan. Depuis longtemps l’on parle en Orient et en Allemagne d’un achat du Cénacle, c’est-à-dire du lieu où, selon la tradition, la Cène fut instituée et où le Saint-Esprit descendit sur les apôtres. Les catholiques allemands, réunis en congrès à Landshut, en septembre 1897, ont demandé que l’empereur, grâce à ses bonnes relations avec Abd-ul-Hamid, arrachât des mains des infidèles un lieu que de si grands souvenirs ont fait vénérable entre tous. La diplomatie allemande a préparé la réalisation de ces vœux ; elle espère que le sultan, comme une marque d’insigne gratitude, offrira à l’empereur la relique qu’il souhaite. Guillaume II, dit-on, en ferait don aux missionnaires de Steyl qui deviendraient en Palestine les ouvriers de l’influence germanique[1]. Ainsi, le souverain donnerait satisfaction à ses sujets catholiques et à l’épiscopat, il serait agréable au Saint-Père, et il ne susciterait pas les jalousies des protestans qui n’attachent qu’un moindre prix aux souvenirs de la Cène.

C’est là sans doute le coup que Guillaume II tient en réserve ;

  1. Les journaux du Centre ont parlé ouvertement de ces projets il y a environ un an. Récemment, l’un d’eux ayant repris le sujet, fut gourmande par le Heilige Land, qui l’adjura de se taire « pour ne pas effrayer les catholiques latins. »