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V

Précisément à onze heures, car elle portait aux actes de son existence extérieure une ponctuelle et rare exactitude, l’Impératrice, en cette toilette presque de dehors, sortait de son Appartement intérieur, tenant de sa main gantée un mouchoir de dentelles. Il n’y avait point de poches aux robes, et ce ne fut que vers 1812 qu’on reprit, des femmes du Directoire, l’usage des réticules, mais en les chargeant cette fois, selon le nouveau goût, d’orfèvrerie et de pierres au fermoir.

Accompagnée de la dame du Palais de jour qui, le plus souvent, avait assisté à la fin de sa toilette, elle entrait dans le salon jaune où l’on introduisait les femmes qu’elle avait fait inviter à déjeuner. Au moins depuis l’Empire, Napoléon déjeunait seul dans ses appartemens, sur un guéridon volant et le plus rapidement possible. Joséphine, au contraire, avait gardé l’habitude de recevoir des femmes à déjeuner et outre la dame de service, outre la dame qui logeait aux Tuileries et souvent la Dame d’honneur, elle avait des personnes de la Cour, le plus souvent des femmes de grands-officiers, de généraux, de ministres ou de conseillers d’Etat, mais parfois aussi des femmes qui n’étaient point du monde officiel, — jamais d’étrangères pourtant, jamais qui que ce fût qui tînt aux diplomates accrédités près de l’Empereur.

Avertie par le préfet du Palais, l’Impératrice passait dans le Salon de service où la table était dressée. Le service était fait sous la direction de son maître d’hôtel, Richaud, en habit de fantaisie, par les deux premiers valets de chambre, Frère et Douville, le mamelouk et les valets de chambre d’appartement. Le menu, prévu pour dix personnes, comportait un potage, quatre hors-d’œuvre, deux relevés, six entrées, deux rôts, six entremets, six assiettes de dessert. On buvait du vin de Beaune et deux bouteilles de Bourgogne fin. Le café était servi à table ainsi que les liqueurs dont on accordait une demi-bouteille. Joséphine, qui mangeait peu, faisait les honneurs avec une grâce charmante et presque d’un air d’égalité, provoquant les confidences, se faisant raconter les histoires en cours, les emmagasinant avec soin, car elle savait que rien ne plaisait mieux à l’Empereur que d’être instruit et que les cancans de la ville l’intéressaient fort. Entre femmes ainsi, quelle que fût la différence des rangs, on se