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pleurer. Elle n’a point tort : une grande part de l’espèce de popularité, de la considération au moins et des éloges qu’on lui accorde en Europe tient à cette façon qu’elle a prise. On s’étonne qu’elle soit si bien au courant de tout, l’on s’en trouve flatté et l’on se retire satisfait ; l’on dit ensuite, et c’est vrai, qu’elle en sait plus que les princesses d’ancien régime, et tout ce que les pointus trouvent à lui reprocher, comme un peu parvenu, c’est presque d’en trop savoir. Cela ne vaut-il pas mieux ?


Avant de sortir de son Appartement intérieur, Joséphine recevait encore la visite de son médecin : elle n’en avait point qui lui fût régulièrement attitré dans le Service de santé de l’Empereur, mais M. Leclerc en remplissait ordinairement les fonctions : c’était son intimité avec Corvisart qui l’avait fait désigner plutôt que ses titres de docteur régent de la Faculté de Paris, de médecin du Châtelet et de l’hôpital de Saint-Cyr, de professeur à la Faculté et de médecin en chef de Saint-Antoine ; au surplus, homme fort distingué, praticien remarquable et passionné pour son art. Lorsqu’il mourut, en janvier 1808, d’une piqûre anatomique, il eut pour successeur le docteur Horeau, élève de Corvisart, dont il a même rédigé les Leçons sur les maladies du cœur. Horeau ne quitta point l’Impératrice, l’assista dans sa dernière maladie et, plus tard, abandonnant la carrière médicale, devint sous-préfet de Pontoise.

Bien que Joséphine eût une santé de fer, qu’elle soutînt la fatigue et les intempéries avec cette incroyable résistance qu’ont les femmes, elle se croyait toujours malade, sollicitait sans cesse des remèdes, abusait des purgations et parvenait, à force de petits soins, à déranger son économie. Lorsque Leclerc ou Horeau ne savaient plus comment refuser des médicamens inutiles, ils appelaient Corvisart, qui arrivait à la consultation et, avec son sérieux souriant, ordonnait des pilules. Elles étaient de mie de pain ; l’Impératrice s’en trouvait immédiatement soulagée, et s’empressait de faire au Premier médecin quelque beau présent, comme cette tabatière d’écaille ornée d’un camée antique d’Esculape qu’on voit au musée de Cluny. Le pis qu’elle eût étaient des migraines, mais encore assez rares, étant donné son genre de vie, et point si violentes qu’elles l’arrêtassent lorsqu’elle avait quelque chose à faire avec l’Empereur.