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de siècles, de tant de rois et de tant de pontifes aurait vécu. — A l’improviste, au printemps dernier, les journaux annoncèrent qu’Abd-ul-Hamid venait de nommer Assim-bey ambassadeur auprès du Saint-Siège.

En rapprochant cette brusque décision du sultan des faits contemporains, l’affaire de Kiao-tcheou, les discours de Kiel, les négociations entre la chancellerie berlinoise et la Propagande, les voyages de Mgr Anzer et de Mgr Kopp, il était facile de deviner d’où partait le coup et qui l’avait préparé. Qu’allait faire le Saint-Père ? Les amis de l’empereur d’Allemagne ne négligèrent rien pour influer sur la décision de Léon XIII : on se souvenait qu’en 1887, il n’avait renoncé qu’à regret à la nonciature de Pékin ; on espérait qu’il saisirait avec joie une occasion nouvelle d’accroître au dehors son influence et son autorité. Mais, prémunis par notre ambassadeur contre les pièges de la proposition turque, comprenant d’ailleurs que le temps était mal choisi pour nouer des rapports diplomatiques avec un souverain qui venait de faire massacrer 300 000 de ses sujets, Léon XIII et le cardinal Rampolla ne se laissèrent point séduire : ils maintinrent intégralement les droits de la France. La fonction d’Assim-bey risque de rester longtemps encore une sinécure.

Ce sont tous ces événemens d’Orient et d’Extrême-Orient, toutes ces intrigues et toutes ces menées qu’il faut coordonner et confronter si l’on veut apercevoir quelle place tient, dans l’histoire de l’expansion allemande, le prochain voyage à Jérusalem. A la lumière de ces faits, le projet de Guillaume II s’éclaire : il prend les proportions d’un très grand événement international, il menace directement les intérêts de la France.

Rien n’a été omis pour rehausser l’importance et préparer les résultats du pèlerinage impérial ; la diplomatie de Guillaume II a cherché à lui ménager le suprême triomphe de proclamer à Jérusalem son protectorat non seulement sur les nationaux allemands, mais encore sur tous les catholiques d’Orient. On n’ignore pas dans les chancelleries, malgré les dénégations des journaux officieux, qu’obtenir ce grand succès était l’un des motifs des voyages du cardinal Kopp au Vatican. Quoi qu’il en soit, il est désormais certain que l’évêque de Breslau n’a pas réussi dans sa mission ; le Saint-Siège ne fera aucun acte qui puisse porter atteinte au protectorat français.

L’empereur attendait de sa tactique un tout autre résultat. Au