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pleure ! Elle sent donc son crime ! Tant mieux ! Mais vous verrez qu’elle a des dettes énormes. Elle est capable de devoir un million. — Oh ! non, pas un million, Sire. — Mais enfin, combien ? — Mais si c’était 800 000 francs ? — Ce n’en serait pas moins scandaleux… pour de misérables pompons, pour se laisser voler par un tas de fripons. Il faut que je chasse tels et tels ; il faut qu’on fasse défense à tel et tel marchand de se présenter jamais chez moi. — Mais, Sire, ce n’est que 600 000 francs. — Ce n’est que cela, dites-vous. Ça ne vous paraît rien. Je n’aime pas du tout ce jeu-là. Allons ! je lui parlerai. » Ils passent au salon où sont les femmes, et Napoléon évite de s’approcher de sa femme ; il la laisse passer devant lui pour aller souper. Elle était tout émue et les larmes aux yeux ; il ne lui dit rien. Après qu’elle se fût mise à table, il vint se placer derrière sa chaise et s’approchant de son oreille : « Eh bien ! Madame, vous avez des dettes. » Et elle, alors, de sangloter. « Vous avez un million de dettes. — Non, Sire, je vous jure, je ne dois que 600 000 francs. — Rien que cela, dites-vous, ça ne vous paraît qu’une bagatelle ? » Il ajoute quelques mots de reproche et elle se remet alors à sangloter plus vivement que jamais. Alors, il s’approche de l’autre oreille : « Allons ! Joséphine, allons, ma petite, ne pleure pas, console-toi. » Et les dettes sont payées.

Dès lors, comme devient explicable, naturelle et simple, la fameuse scène entre Napoléon et Mademoiselle Despeaux, la modiste, cette scène qu’on se plut à présenter comme le plus effroyable des actes de tyrannie. A Saint-Cloud, l’Empereur arrive un matin à l’improviste, dans le salon bleu qui précède la chambre à coucher de l’Impératrice. Il y trouve une grosse femme qu’il ne connaît pas, qui s’approche de lui et murmure quelques paroles inintelligibles. « Comment vous appelez-vous ? Lui demande-t-il. — Je m’appelle Despeaux. — Que faites-vous ? — Je suis marchande de modes. » Furieux, il entre chez l’Impératrice qui est en train de se faire coiffer et prend un bain de pieds : « Qui a fait venir cette femme ? Qui l’a introduite dans les Appartemens ? » Comme Mademoiselle Despeaux est venue d’elle-même, personne ne répond, et les femmes de garde-robe se sauvent devant l’orage. Napoléon revient chez lui, demande Duroc qu’on ne trouve pas, puis Savary qui, prenant à la rigueur les ordres qu’il a reçus, fait saisir la marchande des modes par deux gendarmes d’élite. Survient Duroc qui engage Savary à la relâcher : « Non, parbleu ! je