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d’anniversaires, gages d’un amour dont elle devrait vouloir conserver les marques successives, nul ne demeure intact, tel qu’il était quand on le lui a offert. Elle les dénature, les métamorphose, fait d’un collier une ceinture, de boucles d’oreilles des pendeloques, envoie à la fonte l’or et l’argent, assortit les pierres à sa guise et, à aucun de ces joyaux, n’attache un souvenir. Ce petit médaillon de filigrane, l’unique présent du général Vendémiaire à la vicomtesse de Beauharnais, où est-il, le plus précieux, le plus rare de tous ses bijoux d’Impératrice, qu’en a-t-elle fait ? Cela ne vaut rien : cela ne brille point. Elle l’a cédé dans un lot pour une pierre de fantaisie.

Et ces pierres sans histoire, ces joyaux qui ne parlent point à son esprit et n’évoquent rien à sa mémoire, qui ne sont rien que cela, c’est assez qu’ils soient cela pour qu’elle ait une sorte de folie, un bonheur sans égal, à les voir, à les manier, à s’en parer, à s’en couvrir, à en faire passer entre ses doigts l’intarissable ruissellement. Telle elle était quand, toute nouvelle mariée au vicomte de Beauharnais, elle portait sur elle, dans ses poches, les petits bijoux de sa corbeille pour avoir la joie de les tâter en marchant ; telle, au retour d’Italie, quand, à la Malmaison, devant les demoiselles de Vergennes, elle étalait toutes les splendeurs qu’elle avait rapportées ; telle elle demeure, faisant sur une immense table apporter tous ses écrins que ne peut contenir l’armoire à bijoux de Marie-Antoinette et, durant de longues heures, les plus heureuses qu’elle passe, ouvrant et fermant les boîtes de maroquin et de velours.

A personne, pas plus aux couturiers qu’aux bijoutiers, ou à qui que ce puisse être qui tente sa fantaisie, Joséphine ne sait résister. Dans ce Salon des marchands qui ouvre sur le Carrousel et d’où l’on pénètre dans l’Appartement intérieur, afflue constamment tout le joli, l’élégant, le rare qu’inventent les marchands de Paris. L’Impératrice passe, dit qu’elle achète, se garde de demander le prix et moins encore de payer. L’usage est ancien et voici beaux jours que les vendeurs y trouvent leur compte : jadis, c’était la Dubarry, qui, à la mort de Louis XV, eut à soutenir un terrible procès contre le juif Cramer lui réclamant le prix de tous les objets d’art et de curiosité qu’il avait déposés dans son antichambre et dont elle avait disposé, disait-il, en présens, fantaisies et galanteries. Plus tard, ce fut Marie-Antoinette, et l’on a l’histoire du Collier ; après, Madame Tallien et les nouvelles enrichies du Directoire ; mais