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bijoutiers et orfèvres de Paris et même d’ailleurs ont cette étonnante cliente : Biennais, Depresle, Friese, Marguerite, Foncier, Nitot, Pitaux, Cablat, Belhate, Perret, Tourrier, Messin, les frères Marx, Conrado, Hollander, Lelong, Meller, Mellerio-Meller, et les horlogers Bréguet, Lépine et Mugnier, et Capperone et Theibaker, marchands de camées, et Oliva et Scotto marchands de coraux !

De ces bijoutiers, un surtout, Foncier, a la confiance de Joséphine et presque son intimité. Elle lui remet ses diamans au moment où le bruit court de la mort de Bonaparte en Égypte, où elle entend se mettre à l’abri des revendications de ses créanciers et de celles aussi de la famille Bonaparte ; elle reçoit de sa main des femmes de chambre ; elle lui accorde sa puissante protection pour obtenir du ministre des Finances une charge d’agent de change pour un de ses gendres ; elle marie son autre fille au colonel Defrance, écuyer cavalcadour de l’Empereur ; c’est un familier qu’elle prend pour conseil en ses achats, trafics et échanges, et qui n’y cherche point trop son intérêt.

Foncier retiré, Nitot a la grosse pratique : en 1805, il avait été chargé de porter à Borne la tiare que l’Empereur offrait au Pape et qui figure encore dans les trésors du Vatican à l’honneur de l’orfèvrerie française ; il eut soin d’emporter une pacotille de bijoux, passa par Milan où l’on sacrait le roi d’Italie, fit de bonnes affaires avec la Beine, reçut à la suite le titre de joaillier de l’Impératrice et devint de sa Maison : au moins son cachet porte-t-il l’aigle couronné avec cet exergue : Maison de l’Impératrice ; mais s’il est le fournisseur en titre, on a vu qu’il n’est point le seul vendeur.

Ce qui peut étonner, c’est que Joséphine ne soit point dégoûtée d’acheter des bijoux par la jouissance qu’elle a des plus magnifiques joyaux qui soient au monde : les joyaux de la Couronne. Elle a, quand il lui plaît, la grande parure de diamans, — couronne, diadème, collier, peigne, boucles d’oreilles, bracelets, ceinture en roses, rivière de huit rangs de chatons, — cette parure qui est estimée 3 709 583 fr. 92 ; elle a la parure de rubis d’Orient, et la parure de turquoises, et la parure de perles de 570 107 francs : cinq millions de joyaux. Ne voit-elle pas que, près de ces splendeurs, tout ce qu’elle achète est pauvre et médiocre, ou comprend-elle que, de ces merveilles elle n’a qu’un usufruit qui peut lui échapper ? Est-ce pour cela que, comme elle a fait dès 1790, dès