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Dans l’Orient musulman comme dans l’Asie chinoise, c’est un même assaut qui est livré avec les mêmes armes contre les droits séculaires et formellement consacrés de la France. Fonder l’hégémonie allemande sur le protectorat catholique, faire de la clientèle religieuse de l’Eglise romaine la clientèle commerciale de l’empire germanique, c’est, ici comme là-bas, le résultat depuis longtemps cherché et patiemment poursuivi.

Il serait dangereux de cacher sous le voile de rassurantes illusions l’essor prodigieux de nos voisins de l’est : les domaines du Padischah sont aujourd’hui, pour ainsi parler, dans la mouvance de l’empire allemand ; ils deviennent pour les sujets de Guillaume II un pays d’exploitation et de colonisation. En novembre 1889, Guillaume II, émancipé pour la première fois de la tutelle de M. de Bismarck, vint à Constantinople et reçut l’hospitalité séductrice du Sultan ; en quittant les rives enchantées du Bosphore, il emporta l’impression que la Turquie est une force dont l’intervention peut, à certaines heures, devenir décisive dans l’Europe divisée d’aujourd’hui. Cette conviction régla les attitudes et inspira la conduite de l’empereur : cet Orient qui, selon Bismarck, « ne valait pas les os d’un grenadier poméranien, » prit dans les préoccupations de Guillaume II une place considérable. Très vite, l’influence politique, militaire, économique de l’Allemagne grandit démesurément. — On sait le rôle de la diplomatie de Guillaume II dans les récens événemens : muette au moment des massacres d’Arménie, elle empêcha de parler ceux qui auraient pu le faire ; constamment elle ménagea la Sublime Porte ; et lorsque surgit la question de Crète, c’est elle qui poussa à la guerre un Sultan qui préfère le massacre à la lutte ouverte. — La Chine en 1895 avait été sauvée par l’entente de la Russie, de la France et de l’Allemagne ; la Turquie fut aidée en 1896 par l’Allemagne toute seule : elle seule aussi recueillit les bénéfices d’une intervention peu généreuse, mais profitable. Elle fit accorder à ses nationaux des entreprises de chemins de fer, des concessions de terres, des commandes industrielles. La force économique de l’empire ottoman passa aux mains des Allemands. En Syrie, en Anatolie, des colonies teutonnes se développèrent ; lorsqu’il débarquera à Caïffa, l’empereur sera accueilli par les acclamations de ses sujets établis dans le pays.

L’entente cordiale de Guillaume II et d’Abd-ul-Hamid est un danger pour notre protectorat catholique, pour l’avenir de notre