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ou si, au contraire, il en a été péniblement affecté. Dans le premier cas, nous nous trouverions en présence d’une abstraction de l’esprit ; dans le second, de la révolte de la conscience. Quoi qu’il en soit, et il faut le dire tout de suite, l’initiative que vient de prendre l’empereur Nicolas restera pour lui un titre d’honneur dans l’histoire. Elle est sans précédens. Les publicistes, les philosophes, les penseurs, les moralistes avaient déjà dénoncé comme un fléau l’excès des armemens militaires, et quelquefois ces armemens eux-mêmes ; mais jamais encore un gouvernement, jamais surtout un souverain ne s’était associé à la plainte qu’ils avaient fait entendre au nom de l’humanité surchargée, écrasée par un poids de plus en plus lourd, et n’était entré délibérément, avec son autorité propre, dans la voie qu’ils essayaient d’ouvrir. Il y a là un fait nouveau, qui produira sans doute d’heureux résultats, ne fût-ce que par l’encouragement qu’il donne à des aspirations généreuses. Tel est le sentiment qu’on éprouve en lisant la Note qu’a signée le comte Mouravief, mais qui vient sans doute de plus haut que lui. On est touché ; on est ému ; mais il est difficile de ne pas éprouver aussi un peu d’inquiétude en songeant qu’il est quelquefois dangereux de faire naître des espérances sans être sûr de les réaliser. L’idéal que se propose l’empereur Nicolas est si élevé qu’on hésite à le regarder comme accessible.

Tout, dans cette démarche insolite, a le caractère d’un proprio motu de la pensée impériale. On s’est demandé d’abord s’il y avait là un plan concerté avec quelques puissances : nous ne le pensons pas. Si l’empereur Nicolas avait fait connaître ses vues ; s’il les avait communiquées à d’autres ; s’il avait demandé, non pas même un conseil, mais un simple avis, peut-être des objections se seraient-elles produites. Il a certainement voulu conserver à l’acte qu’il accomplissait, quel que pût en être d’ailleurs le résultat final, un caractère de spontanéité absolu. Au reste, s’il avait consulté quelqu’un, il aurait dû consulter tout le monde, et nous avons peine à nous l’imaginer consultant l’Angleterre de M. Goschen, ou l’Allemagne de Guillaume II. Tout porte à croire qu’il ne s’est entretenu de son projet qu’avec ses confidens les plus intimes : peut-être même est-il permis de supposer qu’il n’y a pas seulement une rencontre du hasard dans la corrélation qui a paru s’établir entre la publication de la Note impériale et la haute distinction conférée, avec quelque solennité aussi, à M. Pobédonostzef, le procureur général du saint-synode, le serviteur dévoué d’Alexandre III, le dépositaire fidèle de sa pensée. Mais ce sont là des hypothèses sur lesquelles il serait, peu convenable d’insister. Telle qu’elle