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évêques prussiens, faisait ressortir le lien qui unit la question des missions à la politique coloniale. — Telles étaient les préoccupations de l’opinion publique lorsque Mgr Anzer arriva à Berlin. Il fut reçu par M. de Bismarck avec une bienveillance marquée, et obtint pour son œuvre d’apostolat la promesse de l’appui très énergique du gouvernement ; mais on sut lui faire entendre qu’en retour il était naturel qu’il plaçât sa mission sous le patronage direct de l’Allemagne. Mgr Anzer déféra à ce désir, on pourrait presque dire à cet ordre ; de son autorité privée, et sans que Rome eût à intervenir, il mit le vicariat du Chan-toung méridional sous le protectorat du gouvernement de Berlin. Ainsi fut ouverte la première brèche dans l’édifice de l’influence française : quatre ans après, en 1891, l’œuvre commencée en 1887 fut achevée. Mgr Anzer demanda à la chancellerie allemande les passeports que jusqu’alors tout missionnaire séjournant sur le territoire du Céleste Empire demandait à la France[1]. En 1887, le gouvernement de M. de Freycinet, en 1891 le gouvernement de M. Ribot, dûment avertis par M. le comte Lefebvre de Béhaine, laissèrent, pour des raisons que nous n’avons pas à chercher, s’accomplir cette violation flagrante de nos droits. Les ennemis de notre prépondérance qui n’avaient pu, en 1887, réussir à la ruiner par la création d’une nonciature, parvenaient en 1891 à l’émietter : ils tentaient d’arracher par morceaux ce qu’ils n’avaient pu obtenir en bloc.

Quelle importance a eue l’établissement du protectorat allemand sur les missions du Chan-toung méridional, c’est ce que les récens événemens de Kiao-tchféou ont démontré d’une façon trop péremptoire pour qu’il soit nécessaire d’y insister : c’est le protectorat catholique qui a fourni au gouvernement de Berlin l’occasion désirée[2] pour prendre pied sur le territoire chinois et s’y implanter à demeure.

Si le massacre des Pères Nies et Henlé, le 1er novembre 1897, à Yen-tchéou, eût été préparé d’avance par une diplomatie trop habile, il n’eût pas éclaté plus à propos pour favoriser, au dehors

  1. En même temps, comme nous l’avons indiqué, le projet de nonciature à Pékin était remis en avant.
  2. Sur le rôle de l’Allemagne dans la guerre sino-japonaise et sur les mécomptes de sa politique en Extrême-Orient, avant Kiao-Tcheou, nous renvoyons à l’article paru ici même le 15 septembre 1897 : Qui exploitera la Chine ?