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du territoire impérial. Si on lui demandait d’ajouter un sacrifice à ceux qu’il a déjà consentis, il s’en défendrait sans doute ; mais on lui demandait tout le contraire ; on lui demandait de garder soigneusement ce qui lui appartenait. Il a répondu que les provinces comprises dans la vallée du Yang-tse-kiang l’intéressaient au plus haut degré, et qu’elles devraient toujours être administrées par la Chine et rester sous sa souveraineté. Il n’y a aucune raison, disait-il, non peut-être sans quelque ironie secrète, pour qu’elles fussent cédées ou louées à une autre puissance.

Les Anglais se sont montrés fort satisfaits de ce papier. Avant de savoir ce qu’il valait, nous nous sommes empressés de réclamer le pareil en ce qui concerne les provinces limitrophes du Tonkin : on nous l’a donné, et à notre tour, nous en avons témoigné aussitôt une grande satisfaction. Mais que vaut cet engagement ? Pour peu qu’on y réfléchisse, on s’apercevra qu’il ne vaut, et même qu’il ne signifie pas grand’chose. Il était si naturel que la Chine déclarât vouloir garder des territoires qui lui appartiennent, qu’il n’était peut-être pas bien utile de le lui demander. L’Angleterre a cette déclaration relativement au bassin du Yang-tsé-kiang ; nous l’avons relativement aux provinces limitrophes du Tonkin ; c’est le cas de dire : Et après ? en quoi la situation internationale de ces régions en est-elle changée ? En rien du tout, si on prend la déclaration chinoise au pied de la lettre. Il est vrai qu’on peut la prendre autrement ; mais alors on entre dans le domaine de l’interprétation imaginative et fantaisiste. C’est ce que n’ont pas tardé de faire les journaux anglais. Au bout de quelques jours, ils ont commencé à dire que la vallée du Yang-tsé-kiang était désormais la sphère d’influence dévolue à leur pays, et ils l’ont si bien répété que le mot est passé machinalement dans le langage courant, non seulement en Angleterre, mais ailleurs.

Ici, il faut rendre justice au gouvernement de la Reine. Son premier mouvement a été le bon : il s’est défendu d’avoir voulu inaugurer en Chine la politique des sphères d’influence, et il se serait peut-être épargné quelques embarras s’il avait persisté plus fermement dans cette opinion. Rien n’autorise à croire qu’il l’ait abandonnée, mais il a faibli dans la vigueur avec laquelle il la soutenait au début. Peut-être a-t-il été séduit lui-même par la facilité apparente avec laquelle le mot était passé dans la conversation, pour s’appliquer à toute la vallée du Yang-tse-kiang. À cette politique des sphères d’influence, qui serait l’annonce d’une politique de partage plus ou moins prochaine, lord Salisbury en opposait une autre qu’il