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La Russie n’a pas perdu un moment pour cela. Nul doute qu’un jour ou l’autre elle aurait porté l’extrémité de son effort jusqu’à Port-Arthur et à Ta-lien-wan ; mais peut-être aurait-elle attendu un certain nombre d’années avant de le faire, sans l’initiative prise par les Allemands. Sa propre initiative devenait légitime parce qu’elle était nécessaire. Nous en dirons autant de celle de l’Angleterre à Weï-Haï-Weï. La seule raison qui faisait hésiter à croire qu’elle s’y établirait est que les Japonais y étaient déjà ; mais les Japonais ayant quitté la place, pour des motifs encore inexpliqués, inévitablement les Anglais devaient l’occuper. A dire vrai, ils auraient pu pour le moment s’en tenir là. Ils ont cru devoir exiger davantage, et se trouvant à l’étroit dans l’île de Hong-kong, ils ont demandé un point sur la terre ferme. On le leur a cédé, personne n’y a trouvé à redire : seulement, la France s’est vue dans l’obligation de demander, elle aussi, et d’occuper un point continental en face de l’île d’Haïnan. Tous ces mouvemens sur l’échiquier chinois ont été en quelque sorte déterminés et commandés les uns par les autres. Le premier une fois accompli, les autres devaient fatalement s’ensuivre par voie de conséquence. Mais, cette fois encore, on aurait pu et sans doute dû s’en tenir là. A une prise de possession opérée par l’Allemagne, toutes les puissances intéressées avaient répondu par une prise de possession correspondante. C’étaient des faits du même genre, du même caractère, de la même portée. Autour de ces points, tous bien choisis, puisqu’ils étaient à proximité de leurs centres d’intérêts respectifs, les puissances devaient naturellement rayonner, et les points occupés par elles étaient assez éloignés les uns des autres pour qu’on n’eût à craindre, au moins avant de longues années, ni froissemens ni conflits.

Mais l’Angleterre n’a pas trouvé pour elle la satisfaction encore suffisante, et, cette fois, elle est sortie du domaine des réalités pour entrer dans celui de l’imagination. Elle a fait savoir au gouvernement chinois qu’elle attacherait un prix particulier à recueillir de sa part l’assurance qu’il ne céderait à aucune autre puissance une partie quelconque de la vallée du Yang-tse-kiang, soit provisoirement, soit définitivement, soit à bail, soit à quelque titre que ce fût. L’Angleterre faisait profession de tenir essentiellement à l’intégrité territoriale de la Chine, — intégrité qui venait d’être légèrement ébréchée, — et c’est le motif qu’elle invoquait pour demander une déclaration propre à la rassurer. Le Tsong-li-yamen ne pouvait pas se faire beaucoup prier pour répondre d’une manière favorable : il n’a, en effet, il ne peut avoir actuellement aucune pensée d’aliéner une nouvelle portion