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gouvernement anglais lui-même, accusé de faiblesse ou d’impuissance. De pareils phénomènes, surtout lorsqu’ils se renouvellent tous les trois mois, dénotent un état de malaise d’autant plus fâcheux qu’il est plus difficile de lui attribuer une cause raisonnable. L’Angleterre n’a certainement rien perdu de son importance dans le monde, et, de quelque côté qu’on se tourne, on aperçoit des champs immenses ouverts à son activité. Elle a sur tous ses rivaux une avance qui lui assure pour longtemps une sorte d’hégémonie économique. Quoi qu’on en dise, son gouvernement n’a pas cessé de mettre une attention vigilante au service de ses intérêts. Il n’est pas un autre pays qui ne fût heureux, fier et confiant, s’il voyait devant lui les perspectives qui s’offrent à l’expansion britannique. Comment donc expliquer ce malaise, qu’il faut bien constater ?

Il vient sans doute de ce que l’Angleterre a été un peu gâtée jusqu’ici par les facilités qu’a rencontrées sa prodigieuse fortune. Sans doute, elle n’était pas seule dans le monde ; à côté de la table où elle se servait si copieusement, il y en avait de plus petites, où d’autres pouvaient encore vivre d’une manière convenable ; mais elle ne craignait aucune concurrence et personne ne luttait contre elle dans des conditions qui fussent de nature à l’inquiéter. La France elle-même, qui avait sa clientèle propre, ne cherchait pas à détourner celle de l’Angleterre. Elle n’essayait pas de produire à bon marché comme sa voisine, ni surtout à meilleur marché. Il aurait fallu, pour cela, renouveler tout son outillage industriel, en vertu d’un effort qu’elle n’a pas tenté jusqu’ici. L’Angleterre s’était donc habituée à une configuration du monde économique où elle se sentait sans rivales. Mais, depuis quelques années, le monde s’est transformé. Des nations nouvelles y ont fait leur apparition. Des nations, déjà anciennes, ont senti en elles comme un renouveau d’initiative et d’activité. La politique coloniale, qui semblait être autrefois le luxe des puissances arrivées et solidement établies, est devenue l’ambition de puissances jeunes et en voie de croissance, hardies et ambitieuses comme l’Allemagne, sans parler de la Russie, qui, née trop grande en quelque sorte, a mis longtemps à prendre en main la maîtrise de ses forces disséminées sur tant de points du monde, mais qui, aujourd’hui, se croit à la veille de pouvoir l’exercer. L’Allemagne, la Russie, ne sont pas embarrassées, entravées comme l’a été quelquefois la France par des traditions économiques dont le joug est difficile à secouer. Elles sont prodigieusement prolifiques et productrices. Elles cherchent des débouchés pour le trop-plein de leur population et pour