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projet nouveau. Le ministre d’Allemagne, M. de Brandt, qui s’était toujours montré très ardent à prendre la défense des religieux allemands pour les soustraire au patronage de la légation de France, seconda de tous ses efforts la mission de M. Dunn. A Rome, l’espérance d’entretenir des rapports diplomatiques directs avec le plus grand empire du monde, avec cette Chine si antique et si mystérieuse, où jadis, au temps de l’empereur Khang-hi, le christianisme avait fait des progrès si rapides et si encourageans, parut très séduisante au pape Léon XIII. Il ne pouvait, sans motifs très graves, manquer d’accueillir favorablement un projet qui ferait passer sous sa juridiction immédiate une immense région promise peut-être à la foi catholique. Quant aux droits de la France, le Saint-Père ne les méconnaissait pas ; il n’entendait point dépouiller la « fille aînée de l’Église » d’un privilège qu’elle n’avait cessé de mériter par ses services ; mais il estimait que nos prérogatives n’étaient pas inconciliables avec l’existence d’une nonciature ; le délégué du Saint-Siège devrait agir de concert avec le ministre de France qui resterait son bras droit. C’est avec ces espoirs, qu’au Vatican, le projet présenté par M. Dunn fut, en principe, agréé.

Notre ambassadeur auprès du Saint-Siège était alors le diplomate éminent qui, sans heurts et sans bruit, sut maintenir en des circonstances très délicates les bonnes relations entre la France républicaine et le gouvernement pontifical, et sauvegarder, aux heures difficiles, pour la France de Gambetta et de Jules Ferry, les privilèges et l’influence qu’elle a hérités de saint Louis et de Louis XIV. M. le comte Edouard Lefebvre de Béhaine[1] fit entendre au quai d’Orsay quel danger menaçait l’intégrité du protectorat français ; puis, fort des instructions énergiques envoyées par M. de Freycinet, il fit observer au cardinal secrétaire d’Etat que la seule présence en Chine d’un représentant du pape supprimerait en droit les prérogatives de la France : elle devrait renoncer à la tutelle des catholiques non français d’origine et se contenter de la clientèle de ses nationaux. Le protectorat serait « nationalisé, » les puissances européennes s’en partageraient les

  1. Pour tout ce paragraphe et pour ce qui suit, on consultera l’ouvrage posthume du regretté comte Lefebvre de Behaine : Léon XIII et le prince de Bismarck (Paris, Lethielleux, 1898), qui a paru d’abord ici même de mars à juillet 1897. Le volume s’ouvre par une magistrale biographie de M. de Béhaine par M. Georges Goyau, et se ferme par une série de documens très utiles.