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sont dignes d’admiration. Cependant, s’ils s’étaient bornés, ainsi qu’on le croirait à tort d’après ce qui vient d’être dit, à repasser dans les mêmes chemins où les avait précédés Cavendish, leur mérite n’aurait pas justifié la louange unanime qui a accueilli leurs travaux. Et, en effet, ce n’est pas à cela que s’est bornée leur œuvre.

La découverte de l’argon est, sans aucun doute, intéressante en elle-même. Il est important de connaître la réalité de cette différence entre le prétendu azote atmosphérique et l’azote chimique, de savoir qu’il existe un gaz de plus et un nouveau corps simple. Mais, sans dédaigner ces résultats, on peut considérer autre chose dans l’œuvre de MM. Rayleigh et Ramsay. Il faut en voir la genèse, en suivre le développement et y saisir en quelque sorte sur le fait le travail de l’esprit scientifique. Et d’autre part, l’étude des propriétés de l’argon a fourni un champ d’expériences pour l’épreuve de quelques-unes des théories les plus essentielles de la physique et de la chimie.


L’initiative de la recherche où les deux savans anglais ont déployé tant de ressources d’esprit appartient à lord Rayleigh. Il a dit lui-même très exactement : « La découverte de l’argon est le triomphe de la troisième décimale. » En mesurant les densités de l’azote atmosphérique et de l’azote chimique, il était arrivé à ce singulier résultat que ces densités n’étaient point les mêmes. L’azote chimique, c’est-à-dire extrait des composés azotés, pèse par litre 1gr, 2505 ; l’azote atmosphérique, c’est-à-dire le gaz qui reste comme résidu dans l’air après absorption successive de tous les élémens connus, pèse par litre 1gr, 2572. C’est un écart d’environ 7mmg ; c’est-à-dire qui commence à la troisième décimale.

Ces recherches sur la densité des gaz, le savant anglais y était engagé depuis plus de quatorze ans. Lord Rayleigh est un physicien d’un mérite reconnu ; comme lord Cavendish son prédécesseur, il s’est organisé un laboratoire particulier où il poursuit ses recherches, en dehors de toute charge officielle. Cependant, il y a quelques années encore, il occupait la chaire de physique dans Trinity Collège, de l’Université de Cambridge. Il pensait qu’il était nécessaire, au point de vue des théories chimiques, de soumettre à une révision les déterminations de densité des gaz principaux, d’où se déduisent, comme l’on sait, les poids moléculaires de ces corps. En 1882, alors qu’il présidait la session de la British