Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il est tard, près de quatre heures, lorsque nous nous séparons, et je pars aux allures rapides avec trois des meilleurs chevaux, en compagnie de Balientsky et de l’un des djiguites, sur les traces de mon convoi, auquel j’ai donné l’ordre de camper et de m’ai tendre à Langar. Nous cheminons d’abord dans une plaine légèrement accidentée pendant 14 kilomètres jusqu’à un village nommé Madi, où nous nous engageons dans la vallée d’une rivière, le Taldyk, laquelle n’est pas le même que le cours d’eau, appelé aussi Taldyk, qui sort du col de ce nom. C’est vers la tombée de la nuit que nous entrons dans la vraie montagne, où nous devons faire environ 25 kilomètres encore avant d’atteindre Langar. La température s’abaisse de plus en plus, et je commence à regretter d’avoir sacrifié à une vainc élégance, en ne revêtant pas immédiatement, au départ, mes vêtemens de montagne. Je possède dans mes bagages le costume réglementaire pour ceux qui veulent faire des escalades sur les plateaux de l’Asie centrale, à savoir l’ample touloupe en peau de mouton garnie intérieurement de son poil, le bonnet fourré, et les bottes de feutre, dont l’ensemble, surtout quand on y joint les lunettes à neige, vous donne l’apparence de scaphandriers ou d’animaux noyés et monstrueusement boursouflés à la suite d’une longue immersion. Balientsky a fait mieux encore : sous sa touloupe, il porte un bechmet comme celui des Tatars européens, c’est-à-dire une sorte de redingote de fourrure, hermétiquement fermée et dont le poil est en dedans. Quant aux hommes, ils ont tous plusieurs khalats superposés, dont un au moins est en peau. Mais je n’ai pas cru devoir, dès le départ, prendre cet encombrant costume et je me suis mis en route vêtu comme je l’étais dans la plaine. L’aspect tropical des champs de cotonniers, encore sur pied à Och, malgré les gelées nocturnes des derniers jours, motivait jusqu’à un certain point mon erreur. Au bout de trois heures de route, je me trouvais dans la zone des grands froids.

Il souffle de l’Alaï un vent glacial qui s’accentue de plus en plus. En général, c’est le vent du Nord qui est froid : ici c’est le vent du Sud. Il a passé sur les hauts sommets du Transalaï, et, à mesure que nous remontons la vallée de la rivière Taldyk, il devient plus pénible jusqu’à être vraiment insupportable. A partir de Madi, nous côtoyons constamment la rivière. Nous cheminons d’abord pendant 10 kilomètres en nous élevant graduellement sur la rive droite, entre des collines qui ne sont que les avant-postes