On sait qu’après la mort du grand explorateur Prjévalsky, auquel l’Europe doit la connaissance du centre du continent asiatique, et qui périt, sur les bords du lac Issyk-Koul, au moment où, dans un cinquième voyage, il se préparait à pénétrer dans le Thibet, la direction officielle de l’expédition qu’il avait préparée fut transmise à un savant officier du génie, le colonel Pievtzoff. Mais, en même temps, Groumbtchevsky, alors simple capitaine dans le service des affaires indigènes au Ferganah, sollicita l’autorisation d’explorer la partie de l’empire chinois que Prjévalsky avait commencé à faire connaître. Déjà, auparavant, il avait fait, dans les mêmes parages, un voyage important, dont l’itinéraire a été publié par les soins des corps compétens. Durant son long séjour au Turkestan, il s’était familiarisé, par des études approfondies, avec les mœurs et les coutumes des indigènes, dont il parlait couramment la langue. Il était, en somme, aussi compétent et aussi bien préparé que possible pour l’étude qu’il se proposait de faire. Il obtint, non sans difficultés, une modeste subvention de 7 000 roubles (l’expédition de ses émules en possédait 110 000), et bien que ne prenant pas, ni hiérarchiquement ni sous le rapport du plan, la suite directe de l’entreprise commencée par Prjévalsky, il se considéra comme son héritier moral. C’est dans ces conditions qu’il fit un voyage, aussi pénible qu’important par ses résultats, et qui compte aujourd’hui au nombre des trois ou quatre explorations ayant le plus contribué à révéler à la science européenne une partie de l’Asie qui était restée fermée jusque-là.
26 octobre. — J’ai dîné avec MM. Groumbtchevsky et Conradt chez l’excellent colonel Deibner. Les deux explorateurs sont arrivés dégelés et débarbouillés. Groumbtchevsky avait même revêtu pour la circonstance son vieil uniforme de capitaine en second, horriblement râpé (ajoutons, en passant, qu’il l’a échangé depuis contre celui de colonel et qu’il a succédé au colonel Deibner dans le commandement du district d’Och). Il me donna, sur son itinéraire, et sur les conditions mêmes du voyage que j’allais entreprendre, les plus précieux renseignemens. Je sus par lui que j’allais probablement trouver à Kachgar ou aux environs la mission anglaise du capitaine Younghusband, qui, parti de l’Inde, avait pénétré par le Sud dans la région occidentale de l’Empire chinois. Le capitaine Younghusband, qui avait récemment quitté les King’s dragoon guards pour être attaché au Bengal civil service, est l’explorateur éminent, bien connu déjà précédemment