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pour passer non sur le versant est du Pamir, où j’allais me rendre, mais sur le versant sud, ce qui revient à peu près au même comme longueur de route, dans une saison également rigoureuse, elle avait vu périr toutes ses bêtes de somme, et avait fini par perdre la totalité de ses bagages et de ses collections : les voyageurs eux-mêmes avaient couru de grands dangers, et n’avaient pu se sauver qu’à force d’énergie et d’héroïque persévérance. Groumbtchevsky venait de perdre aussi, dans le Thibet occidental, tous ses chevaux, et la perte de ce qu’ils portaient en avait été la conséquence. La mort des montures met d’autre part en péril le succès de l’expédition elle-même. Pour éviter autant que possible cette fâcheuse éventualité, il était nécessaire de constituer un convoi très léger, et de ne pas imposer aux animaux, qui allaient être déjà fort éprouvés par le terrain, le climat et l’altitude, des fatigues au-dessus de leurs forces. Aussi, au risque de manquer pour nous-mêmes du confortable le plus élémentaire, et même du nécessaire, je réduisis le matériel de campement à sa plus simple expression. Outre les instrumens d’observation et l’outillage nécessaire à la récolte des collections, nous n’emportions presque que des vivres et des armes. Les lits, les tentes, furent impitoyablement supprimés, nos touloupes devant nous servir de couvertures pour la nuit. J’emportai seulement deux grands carrés de feutre destinés à être étendus à terre, pour servir d’intermédiaires entre nos corps et le sol gelé, et un simple morceau de toile à voile, pouvant être utilisé au besoin comme paravent, en cas de bourrasque nocturne. Les yourtes de feutre, qui sont les meilleures de toutes les tentes et que l’on peut se procurer assez facilement dans le pays, furent supprimées, en principe, comme trop pesantes. Nous devions tâcher de gagner les abris fixes, en terre ou en pierre sèche, qui existent de distance en distance dans les montagnes, et qui servent aux caravanes, ou trouver asile sous les yourtes dans les campemens des indigènes lorsque nous en rencontrerions, et, dans le cas où ces deux ressources nous manqueraient, nous comptions coucher à la belle étoile. Nous emportions toutefois une yourte sur notre unique chameau, qui ne pouvait pas dépasser la cinquième étape.

Quant au matériel de cuisine, il était des plus simples : une grosse théière de cuivre martelé, achetée à Kokan, et pouvant être employée indifféremment à faire le thé et à faire chauffer l’eau pour le pillao ou pour tout autre usage ; un grand plat de