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que les autres, qui étaient à ce moment réunis à Och et malheureusement trop peu nombreux, je finis par en trouver dix qui me paraissent en état de faire la route. Presque tous ceux qu’on me présente ont d’horribles blessures du garrot ou des reins ; je tâche d’en trouver chez qui ces plaies n’excèdent pas la dimension d’une pièce de cent sous et n’atteignent aucun organe essentiel. Cette cavalerie me suffira. J’emmène six hommes ; sept chevaux serviront de montures et trois d’entre eux porteront en même temps des bagages ; quant aux trois derniers, l’un sera uniquement chargé de pain, de riz, et de thé pour nous ; le second d’orge pour ses camarades, et le troisième de bois. J’allège ce dernier pendant les trois premières étapes, en lui adjoignant un chameau auxiliaire, qui porte en même temps une yourte et qui marche en avant, sous bonne escorte, pour préparer le campement. Cet animal ne pourra pas aller plus loin que la ligne de faîte de l’Alaï : au-delà, il faudra nous passer d’abri ou nous contenter de ceux que nous trouverons sur notre route.

Comme personnel, la caravane comprenait, outre moi et mon compagnon Ivan Balientsky, cinq autres personnages. Les deux premiers étaient des djiguites ou cavaliers-guides faisant habituellement service de courriers pour le colonel chef du district, qui eut la bonté de me les prêter pour un mois. L’un se nommait Souleyman et l’autre Othman : c’étaient deux types accomplis de ces féroces Kiptchaks dont maints auteurs ont vanté la bravoure et l’énergie. A l’user, je lésai trouvés remarquables comme cavaliers et très supérieurs sous ce rapport aux Arabes, mais bien inférieurs comme bravoure et comme instinct militaire aux musulmans du nord de l’Afrique. C’est le fanatisme religieux, cette forme de l’idéal, qui fait défaut aux musulmans de la Haute-Asie. La force physique, la discipline, et même l’amour du pillage ne le remplacent pas.

J’engageai comme conducteur de la caravane, pour charger et décharger les animaux, deux indigènes d’Och appartenant à l’honorable corporation des karakerch ou caravaniers. L’un d’eux, auquel sa parfaite connaissance de la montagne que nous allions traverser me conduisit à donner le titre de chef du convoi, était un homme d’une quarantaine d’années, à la figure fine et intelligente. Il se nommait Dervich-Dost-Mohammed, c’est-à-dire qu’il avait l’honneur de porter le même nom que l’avant-dernier émir d’Afghanistan.