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caractéristiques n’apparaissent pas nettement et d’où la vie est absente. Cette vieille Asie, d’où sont sortis tant de peuples, est bien vaste, et sa partie centrale, aujourd’hui presque déserte et à peu près inhabitable, pour ne plus guère jouer de rôle dans l’histoire moderne du genre humain, n’en occupe pas moins toujours sur le globe une très grande étendue. Les plus longues étapes marquent à peine sur la carte de ce pays immense, dans ce labyrinthe de pics énormes et innomés, où l’altitude des cols est déjà supérieure à celle des plus hauts sommets des Alpes. La vie y est presque impossible, dans un air raréfié, et, dans ce milieu, de même que tous les bruits matériels sont éteints et comme annulés, de même que la voix humaine ne porte pas, de même les efforts les plus surhumains y sont en quelque sorte imperceptibles, et tous les bruits du monde, aussi bien ceux du dehors que ceux qu’on y peut faire, n’y ont pour ainsi dire pas d’écho.

Le récit des trajets effectués dans un tel cadre n’est pas attrayant pour les auditeurs. Aucun fait saillant ne s’en détache. Tout ce qu’ils comprennent clairement, oh ! cela, très clairement, c’est que là-haut la fatigue est grande. On peut dire aussi que souvent la mort est proche, non pas la mort brillante, ensoleillée, fardée de gloire ou d’espérance, que peut rencontrer, en d’autres régions, l’explorateur ou le soldat, dans la conquête ou la découverte d’un Eldorado quelconque, mais la mort obscure, froide et morne, au fond de quelque précipice, ou simplement sur les pierres du chemin, où vous abattent l’excès de fatigue, l’excès de privations, et l’absence simultanée de tous les élémens les plus nécessaires à la vie, à commencer par l’air, le plus indispensable de tous et celui qui, en général, partout ailleurs, manque le moins.

Un voyage dans de pareils pays, dans de pareilles conditions, ne saurait longtemps fixer l’intérêt du lecteur et nous nous bornerons à adonner ici de notre long journal de route, qui s’étend sur plusieurs années, un fragment détaché entre d’autres, pour en esquisser simplement la physionomie.

Dans ces régions de difficile accès, où l’on s’explique que peu de voyageurs aient pénétré, on ne rencontre pas l’exubérance de végétation et de vie animale qui caractérise les pays tropicaux ; on n’a pas à noter les incidens de route, multiples et attachans, qui sont l’accompagnement forcé de voyages à travers les forêts vierges. On n’a pas non plus l’attrait de l’étude des intérêts