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présentant un bill qui frappait, d’un emprisonnement pouvant durer jusqu’à cinq années et d’une amende pouvant s’élever jusqu’à 5 000 dollars, l’exploitation des enfans. Le même bill visait les promesses de travail, dont certains courtiers déshonnêtes amusaient les émigrans pour leur extorquer quelques francs, et menaçait de dix ans de prison et de 10 000 dollars d’amende toute annonce alléchante qui serait reconnue mensongère. C’est contre les Italiens, surtout, que ces armes législatives étaient dirigées : des hommes s’étaient trouvés, en Italie, qui volontiers passaient en Amérique pour y vivre aux dépens de ceux qui arrivaient sans avoir même de quoi vivre ; et il devenait nécessaire de mettre une entrave à cette singulière profession.

Ces mêmes périls se présentaient, et se présentent encore dans l’Argentine et au Brésil. Le travailleur italien, là-bas, fut trop souvent l’héritier immédiat de l’esclave ; et la suppression de l’esclavage, précisément, amena les pouvoirs publics, dans l’Amérique méridionale, à faire des appels d’Italiens. On a plus tôt réussi à détruire une institution qu’à changer les mœurs ; et les mœurs, en général, ont survécu à l’institution. « Nous sommes comme des bêtes ici, sans prêtres, sans médecins, écrivait un travailleur italien. On n’enterre même pas les morts ; nous sommes pis que des chiens attachés. Dites au patron que je serais plus heureux en Italie dans son étable à porcs que dans un palais en Amérique. » Et un autre : « Je suis en croix, assoiffé, affamé, trahi. De cent nous sommes réduits à quarante. Telle a perdu son mari, tel sa femme ou ses fils. Il en est du Tyrol, dit-on, qui ont mangé un enfant, tant ils avaient faim. Et pour nous protéger, personne : pas de magistrats, pas de carabiniers. En Italie, les Messieurs nous traitaient mal, mais, tout de même, cela valait mieux. » C’est en 1879 qu’un député au Parlement italien, M. Antonibon, faisait écho, dans l’enceinte de Montecitorio, à ces clameurs d’agonie ; et les gouvernemens américains eux-mêmes parurent s’en inquiéter. Il y eut, au Brésil surtout, une sorte d’essai pour organiser l’émigration : des agens se répandirent en Italie, qui procédaient à un recrutement pour telle province brésilienne déterminée ; et leurs invitations précises, moins ingrates en apparence que la perspective d’émigrer au hasard (andare alla sorte), obtinrent de prime abord un certain succès. Mais l’expérience ne tarda point à révéler qu’un certain nombre de ces invitations étaient des trahisons : l’on citait l’exemple d’émigrés qui, arrivés à destination,