Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

statistiques sous la rubrique : émigration permanente (on qualifie de ce nom l’absence prolongée dont les émigrans ne prévoient pas eux-mêmes le terme) ; l’émigration dite temporaire, qui doit se dénouer par un rapatriement à brève échéance, est fort rare en Basilicate. Cette province était, par excellence, le repaire du brigandage : lorsqu’il disparut, il fallait, pour beaucoup de forces inoccupées ou malfaisantes, un exutoire immédiat : l’émigration fut cet exutoire. Pour la Calabre, c’est à l’année 1879 seulement que remontent les débuts d’une émigration considérable : elle dépassa tout de suite le chiffre de 3 000, et monta jusqu’à 17 000 en 1895 ; là aussi, l’émigration temporaire est relativement insignifiante. C’est tout le contraire dans les Pouilles : le brigandage, en cette région, avait fait maintes apparitions, parfois sanglantes, mais jamais il n’y était devenu, comme en Calabre et en Basilicate, une sorte d’institution sociale ; et les efforts des Pouilles pour s’enrichir, retinrent jusqu’en 1888 la masse des bras indigènes, exigèrent même des bras exotiques. Cette année-là seulement, la crise viticole, en réduisant à néant les échafaudages d’espoirs et de capitaux, commença de provoquer un exode de population ; encore cet exode ne fut-il pas très considérable : il emmena 1 300 personnes en 1888, il en entraîna 4 600 en 1895. L’émigration dite temporaire, sans s’élever à ce chiffre, eut pourtant un peu plus d’importance, en Pouille, que dans les provinces voisines. Cette prédominance constante des chiffres de l’émigration dite permanente sur les chiffres de l’émigration dite temporaire est un trait spécial de l’Italie méridionale. Dans les autres parties du royaume, le rapport entre ces deux catégories de chiffres est singulièrement plus compliqué, et l’on y constate qu’en général, jusqu’en 1888 environ, l’émigration temporaire fut de beaucoup la plus importante, si, depuis cette date, l’émigration permanente a, là aussi, pris le dessus.

Ce furent les femmes, plus peut-être que les hommes, qui, dans l’Italie méridionale, éprouvèrent l’envie et donnèrent l’exemple d’aller au loin. Aux origines de l’émigration, dans ces provinces, on entrevoit des convois de nourrices. Ils s’inaugurèrent vers 1878 : parmi les robustes matrones de la Basilicate et parmi ces lointaines héritières de la beauté grecque, qui sont la parure de la province de Catanzaro, le bruit courut qu’au Caire la colonie européenne souhaitait vivement des nourrices italiennes et qu’elle les rémunérait richement ; alors les crèches se remplirent ;