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en cinq ans, exactement la moitié : 766 476 fr. 73. Il n’est donc pas, comme on l’a cru, l’unique habilleur de Joséphine, s’il est le plus important et le plus célèbre : aussi bien le mérite-t-il, portant à cet art, le plus personnel en quelque sorte qui soit, cette sorte de génie qui, à des époques, se rencontre chez des hommes ayant à un si haut degré l’instinct, le goût, la vocation d’habiller et d’embellir la femme qu’ils y réussissent mieux que la femme même et qu’ils y perdent comme la notion de leur sexe.

Leroy ne surfait point la façon : c’est 18 francs pour une robe, même une robe de cour. — En 1750, cela se payait 12 livres chez les grands (soit 14 fr. 40), l’augmentation est donc médiocre. — Mais, où Leroy se rattrape, c’est aux étoiles et aux garnitures qui font monter les robes à 2 000 et 3 000 francs. C’est ainsi qu’il atteint, pour l’Impératrice, à ce chiffre de 130 000 francs par année. Encore trouve-t-il que c’est peu de chose et ose-t-il s’en plaindre à l’Empereur lui-même. « Un jour, a dit Napoléon, que j’examinais un trousseau de famille fourni par lui, il osa m’entreprendre, moi à qui certes on ne mangeait pas dans la main. Il fit ce que personne en France n’eût osé tenter, il se mit à me démontrer fort abondamment que je ne donnais pas assez à l’Impératrice Joséphine, qu’il devenait impossible de l’habiller à ce prix. Je l’arrêtai au milieu de son impertinente éloquence d’un seul regard. Il en demeura comme terrassé. »

Mais, avec Joséphine, il n’en va point de même ; c’est elle qui s’excuse d’être mauvaise pratique et de ne point dépenser assez. En 1809, à la suite de diverses liquidations orageuses, elle a cédé en apparence aux injonctions de l’Empereur, et a résolu de mettre dans sa toilette une façon de régularité. Elle a donc installé comme intendante, chargée de toutes les commandes et de toutes les réceptions d’objets, une certaine Madame Hamelin qui a été assez longtemps en cette qualité au service de la princesse Pauline et l’a quittée le 23 septembre 1808. Par la suite, loin d’arrêter les dépenses, Madame Hamelin s’employa à fournir des expédions pour en engager de nouvelles et profita si largement des faiblesses de sa maîtresse qu’elle reçut d’elle, en une année, soixante-quinze robes et un cachemire de grand prix. Mais, au début de sa gestion, elle était pleine des meilleures intentions et luttait pour ne point laisser dépasser le maximum de dépenses fixé par l’Impératrice même pour chaque article. Chez Leroy, ce maximum était de 7 000 francs par mois, et voici, d’une lettre que Leroy écrit