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L’Impératrice a fait son choix dans les six cent soixante-seize robes d’étoffe. Il lui faut son cachemire à présent. Combien en a-t-elle ? Quelque sotte a dit quatre cents : c’est bien moins : soixante en totalité : cinq amarantes, douze rouges, dix-sept blancs, neuf jaunes, six de diverses couleurs, trois bleus, deux noirs et cinq rayés. Il est vrai qu’ils sont les plus beaux qu’on ait vus en Europe et qu’il en est qu’on a payés huit à dix mille francs ; mais le prix ordinaire est de trois à quatre. Est-ce trop pour la grâce qu’ils donnent à la femme, à Joséphine surtout qui, mille fois dans le jour, remonte son cachemire, le descend, le drape, le tamponne, et qui, lorsque dans les yeux d’une visiteuse, elle aperçoit l’éclair de ce désir féminin qu’elle connaît si bien, d’un geste délicat et enveloppeur, le lui met aux épaules ?

Vient ensuite le chapeau, car, le matin toujours, et parfois le soir, si elle est fatiguée, elle se coiffe avec un chapeau garni de fleurs ou de plumes. Ici, comment se reconnaître dans les chapeaux casques, les chapeaux de velours, de satin, de paille d’Italie, de paille noire, blanche, jaune, les capotes de toute étoffe, les toques en velours, en tulle, en satin, en cachemire, dans les deux cent cinquante-deux « modes et coiffures » d’une seule année, toutes différentes de forme, de couleur, de garniture : les plumes blanches dominent, mais il y a aussi les esprits, les hérons noirs, les plumes de paon et toutes les variétés de fleurs. Très peu de turbans ; trois seulement.

Et d’après ces chiffres qu’on ne s’imagine pas, comme on l’a dit, que Joséphine « a la manie de ne se défaire de rien, » et qu’elle thésaurise en quelque façon les objets de sa toilette. Deux fois par an, elle monte aux atours et elle réforme alors une grande partie, la plus grande partie de sa garde-robe. Ainsi, en cette année 1809, sur trois cent soixante-dix-neuf pièces de dentelles, elle en donne soixante-douze ; sur quarante-neuf grands habits de cour, seize ; sur six cent soixante-seize robes, tuniques ou juives, trois cent soixante et une ; sur soixante châles de cachemire, dix-sept ; sur quarante robes de cachemire, trois, dont une aux Gobelins ; sur deux cent cinquante-deux modes et coiffures, cent quarante-six ; sur quatre cent treize paires de bas, deux cent quatorze ; sur sept cent quatre-vingt-cinq paires de souliers et de brodequins, sept cent quatre-vingt-cinq !

Elle ne donne pas seulement les objets en usage, mais, dans ce qui est neuf, tout ce qui a cessé d’être à sa fantaisie : voici cent