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paraissent devant lui en mettent. Cela lui semble à ce point l’accessoire obligé de la grande toilette qu’il rudoie quiconque essaie de s’y soustraire : « Allez mettre du rouge, madame, dit-il à une, vous avez l’air d’un cadavre, » et à une autre : « Qu’est-ce que vous avez à être si pâle, relevez-vous de couches ? » Le cas est ordinaire : tout homme qui vit d’habitude dans la société de femmes fardées, perd la notion du teint naturel, de l’aspect normal du visage, et le fard lui paraît non seulement un agrément, mais un complément indispensable de l’habillement.

Par compensation, en dehors de l’eau de Cologne, de quelques extraits de fleurs et de l’eau de lavande, Napoléon ne supporte aucun parfum et en a l’horreur : Joséphine doit donc s’en priver, comme d’ailleurs toutes les femmes de la Cour.

Après avoir pris ces soins minutieux, où elle a employé les nombreux nécessaires, les boîtes à outils de toute espèce, pour les dents, pour les mains, pour les pieds ; après avoir subi la visite de son pédicure, le juif allemand Tobias Kohen, qui, tous les quinze jours, vient, l’épée au côté, en habit pareil à celui des valets de chambre, s’acquitter de son devoir avec un sérieux imperturbable et reçoit pour ce un traitement de 1 200 francs, Joséphine s’habille : elle passe une chemise de mousseline, de toile de Hollande, de batiste ou de percale, et elle en a bon nombre : quatre cent quatre-vingt-dix-huit. Cette chemise, le plus ordinairement, est brodée au bas et garnie, à la gorge et aux manches, de valenciennes à dents ou de malines. L’étoffe, en batiste, coûte 18 francs l’aune et on en emploie deux aunes presque et demie ; la façon revient à 7 francs ; la garniture de petite dentelle, à la gorge et aux manches, est comptée 15 francs pour les plus simples, mais monte à 36, 40, 50, 100 francs, si c’est de la valenciennes, et plus haut, si c’est de la malines. La plupart sont brodées au bas à raison de 36 francs pièce et ont en garniture de 100 à 200 francs de dentelles. Les fournisseurs sont la veuve Commun Narrey et les demoiselles Lolive, de Beuvry et compagnie. Qu’on ne s’étonne pas de ces cinq cents chemises, c’est à peine si elles suffisent : Joséphine en change trois fois par jour.

On lui chausse des bas de soie, d’ordinaire blancs, rarement rosés. Elle a dans sa garde-robe cent cinquante-huit paires de bas de soie blancs contre trente-deux de soie rosés et dix-huit de couleur chair : ces bas, que fournissent Patin et Tessier, valent depuis 18 jusqu’à 72 francs la paire, — ceux-ci « extra-fins à très